À propos des propositions et amendements du Cahier synthèse de Québec solidaire sur la déclaration de Saguenay et le programme

Bernard Rioux
15 mai 2024

 

L’article sur la Critique de la déclaration de Saguenay montrait que cette déclaration constituait, de fait une remise en question de plusieurs éléments importants de notre programme (contrôle public de nos ressources naturelles, défense de l’agroécologie, défense du pluralisme syndical en milieu agricole, nationalisation de l’énergie éolienne, centralité de la lutte contre la privatisation… ). Or, présenter une déclaration remettant en cause des éléments du programme de Québec solidaire dans un Conseil national n’est pas une démarche acceptable. Il est vrai qu’on peut amender cette déclaration, il reste que la discussion proposée n’est pas un cadre adéquat pour mener les débats essentiels qui sont devant nous tant pour faire face à la crise climatique qu’à l’offensive néolibérale que mène le gouvernement Legault.

Proposition 1 – La transition juste

Le Cahier synthèse accepte des ajouts suivants à la proposition initiale : les valeurs écoféministes ; le caractère public et abordable des alternatives de mobilité durable ; la dimension urbaine au développement du transport collectif, interrégional et interurbain ; et tout cela en cohérence avec les initiatives locales et régionales déjà existantes et une perspective intersectionnelle à l’évaluation des impacts de la transition.

Il remplace
• responsabiliser par rendre imputables et encadrer légalement les grands pollueurs

La formulation est floue à souhait, elle ne précise aucunement le sens des mots imputables et la nature de l’encadrement légal proposé. En fait les objectifs de cet encadrement auraient dû être précisés, soit l’adoption de mesures contraignantes vers la fin des émissions polluantes, la suspension de la possibilité d’achat de droits de polluer, de vendre de moins en moins des voitures thermiques et de mousser la surconsommation par une publicité omniprésente.

Il soumet au vote
• le soutien à la décroissance matérielle
• les caractérisations des alternatives de mobilité durable comme devant être publiques et gratuites.

Ces deux amendements sont particulièrement importants à adopter, car le premier écarte la construction d’un parc automobile électrique comme étant une solution réelle permettant la diminution des GES (Hochelaga-Maisonneuve) et le deuxième priorise clairement le transport public et sa gratuité (RMÉ) comme étant des revendications qui devraient être mises de l’avant par Québec solidaire. Ce sont là deux propositions qui nous semblent incontournables et importantes à soutenir.

La proposition visant à rayer la priorité donnée aux régions les moins bien desservies ne semble pas relever d’un souci d’une volonté d’un développement égal et, mais celle sur la transformation du BAPE mériterait d’être discutée.

Proposition 2 – Transition juste

Le comité synthèse propose d’accepter tel quel, les trois éléments de la proposition 2, soit :
• le zéro perte d’emploi,
• la priorité donnée à la diversification des économies locales, aux investissements dans des secteurs peu polluants, et la requalification de la main-d’œuvre
• et l’implantation de comités paritaires

Il soumet au vote les amendements suivants
• remplaçant les comités paritaires dans les milieux de travail par comités de transition de travailleurs et travailleuses (Viau et RMÉ)
• des propositions soit éliminent les comités prioritaires sur la transition (Deux Montagnes, Rimouski), soit définissent différemment les lieux d’implantations des comités d’entreprises : grandes entreprises ( CP) ou moyennes ou grandes entreprises (Mauricie)

La nouvelle proposition (Viau et du Réseau Militant Écologiste) qui propose d’appliquer le principe de la participation démocratique des populations concernées dans la planification, l’exécution, le contrôle et l’évaluation de l’atteinte des objectifs de cette transition est la seule qui pose des objectifs démocratiques concrets à la démarche de transition… Et c’est là le centre de la question.

Proposition 3 – sur l’équité territoriale

Le cahier synthèse ajoute à la proposition initiale sur la défense de l’équité territoriale en termes de construction d’infrastructures, le développement de services publics. Et ajoute à régions rurales, celles de régions éloignées ou périurbaines. (Marie-Victorin) souligne l’importance de s’assurer que le transport collectif permette à l’ensemble de la population d‘accéder aux services publics. Une proposition importante.

Proposition 4 – Décentralisation de la santé et des services sociaux

À la décentralisation des pouvoirs décisionnels vers les régions, le Cahier synthèse ajoute et les ressources pour le faire.

Le Cahier synthèse n’intègre pas la proposition du RMI, de la CNF et de NDG soit un gouvernement de Québec solidaire mettra fin à la privatisation, ouverte ou cachée, du système des centres de services sociaux et en approfondissant leur caractère public. Ni l’idée d’une vaste consultation (NDG) afin d’envisager une alternative à Santé Québec, afin de combattre la centralisation des services de santé

Le Cahier synthèse écarte donc le rapport qu’il faut établir entre centralisation et la privatisation et cela constitue un angle mort. En fait, la dépossession du bien commun passe essentiellement par la privatisation qui touche la santé, l’éducation et même la fonction publique.

Ne pas faire de la lutte contre la privatisation, l’enjeu majeur de la lutte politique dans les années qui viennent, c’est passer à côté d’un combat essentiel très important de soutenir les amendements à la proposition 4
• mettre fin à la privatisation ouvert ou cachée et des services sociaux en maintenant et en approfondissant leur caractère public (RMI, CNF, Notre-Dame-de-Grâce)
• mettre fin au système scolaire actuel à trois vitesses en le rendant totalement public, universel, égalitaire, accessible et gratuit depuis la garderie jusqu’à la fin de l’université.

Limiter cette dépossession au seul enjeu de décentralisation, c’est passer à côté les fondements de cette dépossession, soit une privatisation rampante qui remet de pans entiers du bien commun de la majorité populaire dans toutes les régions du Québec dans les mains des intérêts privés.

Proposition 5 – Décentralisation du développement du logement

Le Cahier de synthèse ajoute a la proposition de décentralisation du développement du logement vers les régions, la fourniture l’expertise et des ressources économiques, et spécifie en ce qui concerne les projets de logements, notamment des logements sociaux et fournira des moyens financiers aux expertises déjà en place.

Il ne retient pas et soumet donc au vote le développement national de logements sociaux dans un objectif de planification et de contrôle démocratique de ces projets par les collectivités concernées (RMÉ et Bonaventure). Les autres amendements parlent de logements abordables et sociaux (Deux-Montagnes) ou publics et collectifs (Bonaventure) et (Viau) mettent de l’avant une réforme fondamentale des institutions concernées.

L’idée d’un programme national de logements sociaux dans un objectif de planifications et de contrôle démocratique est au centre des amendements soumis au vote et ils doivent être soutenus. Mais ces amendements ne questionnent pas l’ascendant des spéculateurs et promoteurs immobiliers sur les choix des investissements en matière de construction de logements.

Proposition 6 – conseils régionaux de développement et de transition

Cahier synthèse ajoute au fait de donner aux régions les moyens d’organiser leur développement et social, le soutien aux initiatives régionales existantes dans chacune des régions et le financement nécessaire pour remplir leur mission.

Le fait de confier aux CRDT, la planification de la transition énergétique, laisse complètement de côté la réalité des acteurs qui ont le plus de pouvoir économique sur les décisions structurantes de la vie économique des régions, soit les grandes et moyennes entreprises.

Proposition 7 – Ressources naturelles

Le Cahier de synthèse remplace exploitation par utilisation durable et responsable dans le respect des limites de la planète et des écosystèmes et de la santé des collectivités et dans le respect des droits inaliénables des peuples autochtones et qualifie la répartition des redevances comme devant être suffisante et équitable.

Le Cahier de synthèse soumet au vote la proposition qui avance qu’il faut équilibrer le rapport de force entre les municipalités et les grandes entreprises exploitant les ressources naturelles (Mercier). L’amendement fait un pas seulement dans la bonne direction.

Se contenter d’une meilleure répartition directe des redevances aux régions, et proposer le développement des coopératives sans poser la fin du pouvoir des multinationales sur nos richesses naturelles, c’est tout simplement se placer en position de faiblesse et empêcher que ces nouveaux modèles économiques publics, coopératifs et d’économie sociale puissent véritablement s’imposer. Parler d’équilibrer le rapport de force, c’est se payer de mots, sans déterminer les moyens de la reprise en main réelle de notre pouvoir sur les ressources naturelles.

QS ne pourra assurer l’exploitation ou l’utilisation durable et responsable de l’énergie, quelles qu’en soient les formes, sans indiquer sa volonté de maintenir (ou de rétablir) le monopole d’Hydro-Québec sur la production et la distribution de l’hydro-électricité, de l’énergie éolienne ou de l’énergie solaire. C’est là le seul moyen d’assurer le contrôle public et démocratique sur les sources d’énergie renouvelable. Ici, la non-reprise du programme qu’on veut d’ailleurs changer est problématique.

Proposition 8 – Industrie forestière

Le Cahier de synthèse remplace la reconnaissance du rôle central de l’industrie forestière par la forêt et de la foresterie dans l’épanouissement économique de plusieurs régions du Québec. Pour ce qui est de la stratégie d’adaptation des forêts aux changements climatiques, on propose que QS adopte une stratégie de gestion durable de la ressource et d’adaptation de la foresterie aux changements climatiques et la proposition précise que lorsqu’on parle de communautés touchées, on ajoute particulièrement les Premières Nations et les Inuit, l’industrie et ses travailleurs et travailleuses et qui reconnaît l’importance de la valeur intrinsèque de la forêt et des services écosystémiques qu’elle produit.

La proposition reste en deçà de ce qui serait nécessaire pour la protection des forêts. C’est faire croire que la défense des populations des régions puisse faire fi de la remise en question de la domination des grandes multinationales forestières, minières et énergétiques sur nos ressources naturelles. Aucun amendement ne permet de préciser cette problématique.

Proposition 9 – Souveraineté alimentaire

Le Cahier de synthèse reprend l’essentiel de la proposition d’initiale sur la responsabilité confiée à la première ou au premier ministre, à la création d’un front d’urgence, à la réforme en profondeur de l’ensemble des programmes de soutien au secteur agricole, il se contente de préciser ses particularités régionales. Cette proposition souligne également la nécessité de renégocier les accords commerciaux afin de tendre vers la réciprocité des normes pour les produits importés.

Les amendements soumis essaient de réintroduire certaines dimensions d’une agriculture agrobiologique : soit en favorisant les productions végétales (Viau et RMÉ), soit la mise en place entres autres par une taxe sur la malbouffe (Hochelaga-Maisonneuve). Ils sont donc importants. 17 associations de QS et le RMÉ proposent de biffer conférer la responsabilité de l’agriculture à la première ministre ou au premier ministre. La centralisation des pouvoirs dans les mains du PM a bien peu à voir avec un mouvement avec la décentralisation des pouvoirs vers les régions.

Les propositions et les amendements du moins explicitement, ne questionnent pas l’exploitation de la main-d’œuvre immigrante en agriculture, la domination d’une agriculture agro-exportatrice où domine la production carnée, le poids du capital financier sur l’endettement des agriculteurs et des agricultrices, la distance qui reste à parcourir pour une réelle souveraineté alimentaire… Refuser de poser ces questions c’est s’empêcher d’identifier les défis auxquels font face les agriculteurs et agricultrices du Québec.

Proposition 10 – Syndicalisme agricole

Le Cahier synthèse reprend la proposition comme quoi Québec solidaire reconnaît le rôle de l’Union des producteurs agricoles (UPA) et renonce à réformer le syndicalisme agricole.

Les amendements proposent soit le dépôt (Berthier), soit la référence à la Commission politique
(CP) soit des reformulations qui reprennent l’essentiel de la proposition (Labelle et Verchères)

Cette proposition ne doit pas être adoptée. Un proposition qui rompt avec notre programme doit pour le moins être déposée. Défendre la pluralité dans le syndicalisme agricole comme moyen de promotion de la démocratie c’est la simple reconnaissance de la diversité des agricultures au Québec et le refus de voir dans l’agro-industrie exportatrice comme la seule sorte d’agriculture possible au Québec.

Proposition 11 – Filière batterie

Le Cahier synthèse fait trois ajouts à la proposition 11 – à la relance de la filière batteries sur des bases démocratiques, durables et justes et la tenue d’un BAPE générique, il ajoute notamment pour confirmer un recyclage assuré des batteries et pour assurer que la santé des citoyen-ne- que soit pris en considération dans tout le processus afin de planifier des projets pour lesquels le BAPE émettra un avis favorable. Et ajoute à l’objectif de réduction de gaz à effet de serre l’adjectif contraignant.

Le Cahier synthèse soumet au vote la proposition de nationaliser les différents secteurs économiques concernés (Viau), en priorisant le développement du transport collectif (Hochelaga-Maisonneuve), ne soutiendra pas et ne financera pas des projets portés par des multinationales tel celui de Northvolt.(RMI).

La proposition d’Hochelaga-Maisonneuve va à l’essentiel. La proposition présentée par le Comité synthèse n’éclaire pas les liens avec le développement de l’extractivisme ; elle ne précise pas que dans le contexte actuel le projet de la filière batterie présenté par le gouvernement Legault vise d’abord et avant tout à l’électrification de la voiture individuelle. Elle ne dénonce pas le fait que cette filière est dans les mains tant au niveau minier qu’industriel, d’entreprises multinationales ayant leur propre agenda qui ne va nullement dans le sens d’une lutte aux changements climatiques.

La proposition sur la filière de l’hydrogène vert (Berthier) se fait sans véritable analyse et évaluation de cette filière.

Proposition 12 – Habitation

Le Cahier synthèse reprend les 4 éléments de la proposition de la déclaration initiale
• dont convoquer un sommet national afin de lancer une nouvelle Corvée habitation ;
• la construction de maison d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale ;
• en dialogue continu avec les communautés autochtones, appuyer les efforts pour répondre aux défis particuliers en matière de logement, particulièrement dans le nord du Québec
• accélérer la construction de logements adoptés pour les personnes les plus vulnérables

Les amendements veulent que les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale permettent les animaux de compagnie (Rosemont) ; aider les RPA existantes, afin de les aider à s’adapter aux nouvelles normes et d’éviter leur fermeture (Mauricie) ; permettre aux propriétaires de résidences unifamiliales d’ajouter une unité d’habitation additionnelle détachée sur leur terrain pour location à long terme.(Mercier).

Aucun de ces amendements ne tient véritablement compte des fondements de la crise du logement. Seule la proposition sur la nationalisation de l’industrie du logement (Montréal) aborde cette question, mais sans préciser ce que cela signifie réellement.

Ni la proposition initiale, ni les amendements ne s’attaquent aux fondements de la crise du logement, ce que ferait la construction de logements sociaux hors du marché privé afin d’augmenter le nombre d’habitations à bas prix misant sur le logement social et communautaire qui regroupe les habitations à loyer modique, les coopératives d’habitation et les organismes sans but lucratif.

Proposition 13 – La nécessité d’avancer ensemble

Le Cahier synthèse précise
• que le modèle interculturaliste des bâtisseurs du Québec moderne qui sera un jour souverain
• Que QS solidaire s’engage à défendre les droits et libertés des Québécois-es et à combattre toutes les formes de discrimination, notamment le racisme systémique
• QS affirme la primauté de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et ajoute notamment s’engage à promouvoir l’idée de l’inclusion de cette Charte dans la constitution d’un futur Québec indépendant durant les débats et les consultations de l’assemblée constituante

Les amendements soulignent l’importance de la culture (Marie-Victorin) et de l’éducation (Marie-Victorin). Seul (Montréal) ouvre un débat en demandant à Québec solidaire de s’engager à ne pas employer la clause dérogatoire afin de ne pas limiter les droits et libertés des Québécoises et des Québécois.

La défense de l’interculturalisme n’est qu’une partie de la solution. Au-delà de ce nécessaire interculturalisme, les combats contre la surexploitation de la population immigrée et contre les restrictions à leurs droits sociaux et politiques, et les luttes contre l’inégalité de genre, contre les discriminations à l’emploi et dans le logement, ainsi que les luttes antiracistes seront essentiels pour créer de nouveaux liens sociaux et jeter les bases d’une véritable inclusion et d’un métissage de la société québécoise qui seront à la base de la construction d’une véritable majorité indépendantiste.

Proposition 14 -Programme et plate-forme électorale

Le comité synthèse reprend la proposition qu’en prévision de la campagne électorale de 2026, le parti s’engage dans un processus de modernisation du programme, qui sera suivi par l’adoption de la plate-forme électorale… Le comité synthèse présente une série de balises dont la transformation sociale, et notre projet à renverser le statu quo politique au Québec. Ces balises précisent également qu’un éventuel programme ne se limite pas à définir les orientations d’un éventuel gouvernement solidaire, mais aussi les axes des transformations sociales et politiques.

Cette proposition semble corriger les déclarations sur un programme plus pragmatique qui ont circulé. Mais les amendements visant à remplacer moderniser par actualiser(RMI) etde biffer la balise c : Que le programme soit exempt d’engagements politiques spécifiques restent importants à soutenir.

Si une actualisation du programme doit être faite, elle ne doit pas viser un quelconque recentrage, mais elle doit préciser la vision transformatrice de Québec solidaire afin de lui permettre de répondre aux défis de notre époque.

Cette actualisation du programme devrait viser à définir a) les modalités de la rupture avec la croissance capitaliste afin d’éviter la destruction écologique et sociale où nous mène se ce système ; b) l’articulation de notre lutte pour l’indépendance et la nature de notre projet de société dans une véritable démarche de souveraineté populaire ; c) la centralité de la lutte contre la privatisation des services publics et l’extension des services énergétiques publics, d) les mesures permettant une véritable redistribution des richesses et enfin e) l’élargissement du pouvoir démocratique des citoyens et des citoyennes y compris sur le terrain économique.