Adoptée le 18 octobre 2020
Révolution écosocialiste contribue à la construction d’un mouvement socialiste au sein duquel un parti socialiste de masse sera appelé à jouer un rôle clé. Cette reconstruction exige un renouveau du mouvement syndical et le développement de mouvements sociaux combatifs et démocratiques. Pour être fructueuses, nos campagnes – électorales, syndicales ou sociales – doivent être replacées dans une stratégie d’ensemble, qui doit elle-même découler d’une analyse du système économique et politique et de notre conjoncture historique. Notre base d’unité, ce qui nous rassemble, présente notre perspective stratégique et notre vision du mouvement socialiste à construire.
Pour le socialisme
Nous voulons contribuer à construire un monde socialiste qui mettra fin à l’exploitation et l’oppression qui sont inhérentes au capitalisme. Toutes et tous ont droit à une vie libre et pleinement créative. Dans une société socialiste, une économie planifiée et administrée démocratiquement nous permettra de répondre au défi des changements climatiques et de préserver nos écosystèmes et la biodiversité. Une démocratie socialiste redéfinira la politique et s’approfondira pour s’étendre à nos lieux de travail et à nos communautés.
La centralité stratégique de la lutte des classes pour renverser le capitalisme
Le capitalisme est basé sur l’exploitation et la marchandisation. La société y est divisée en classes – une petite minorité domine l’économie et accapare les moyens de production et de distribution dont est dépossédée la grande majorité, qui subit cette domination. L’appartenance de classe, mais aussi de groupe racialisé, identité sexuelle, et capacité, notamment, détermine les ressources auxquelles les gens ont droit et ce qu’ils doivent faire pour survivre.
Les entreprises capitalistes sont en concurrence et doivent donc maximiser les profits en réduisant leurs coûts, en intensifiant le travail et en adoptant des technologies qui augmentent sa productivité tout en le précarisant. Les entreprises financières se font aussi compétition afin d’effectuer une ponction sur l’endettement des ménages et multiplie les produits financiers opaques à cette fin. Cette course effrénée à la profitabilité dans le cadre d’une économie non planifiée mène à des crises récurrentes (économiques et écologiques).
Alors que d’immenses richesses sont produites, la majorité de la population s’éreinte pour joindre les deux bouts, et notre accès à ce qui est nécessaire à une vie digne et épanouissante reste très éloigné de ce qu’il pourrait être. Au sommet, la classe capitaliste – une petite minorité de grands propriétaires et leurs gestionnaires – domine la société. Les profits de cette classe découlent des efforts de la vaste majorité : la classe des travailleurs et des travailleuses.
Les profits de ceux et celles d’en haut dépendent du travail de la vaste majorité d’en bas. Ceci nous confère donc un énorme pouvoir potentiel. Nous avons le pouvoir d’arrêter la production et le flot des profits, ou de créer une crise politique avec une grève de la fonction publique. Nous formons l’immense majorité de la population et nous avons le pouvoir de transformer le système politique qui protège le pouvoir du capital.
Améliorer nos vies dès maintenant et éventuellement mettre fin au capitalisme requiert la mobilisation de cet immense pouvoir potentiel et pose la question stratégique centrale de l’organisation de la classe des travailleurs et des travailleuses – la construction de son unité dans toute sa diversité. Ce projet est au cœur de notre perspective stratégique.
Contre les autres systèmes d’exploitation
Le capitalisme et les autres systèmes d’exploitation que sont le racisme, le colonialisme et le patriarcat sont co-constitués – c’est-à-dire qu’ils sont interdépendants et se nourrissent les uns les autres. Les employeurs ont recours à des tactiques sexistes ou racistes pour diviser leurs employés. Au-delà de ces tactiques, le processus normal d’accumulation capitaliste nourrit fatalement les divisions raciales et de genres au sein de la société. Inversement, la division de la société en classes est également modulée par le patriarcat, le racisme et différents autres systèmes d’oppression et d’exploitation (castes, capacités, religions, hétéronormativité, cis-sexisme, colonialisme, pauvreté, etc.). Notamment, l’appartenance de classe est en partie déterminée par le genre et encore plus largement par la race.
Lutter contre le patriarcat et le racisme exige de confronter le pouvoir du capital parce qu’il s’oppose, par exemple, à une imposition de ses profits nécessaire au financement d’un réseau de garderies public, gratuit et de qualité, ou encore parce qu’il contribue à maintenir le statut hyper-précaire des salariés migrants. À l’inverse, confronter efficacement le capital implique de s’attaquer au patriarcat, au racisme, et à toutes les formes d’oppression et d’exploitation qui nous divisent. En cela, nous reconnaissons que la division sexuelle et raciale du travail (incluant le travail non salarié et le sous emploi) de même que les violences racistes et patriarcales (notamment les violences policières, domestiques et sexuelles) sont des enjeux centraux qui ne peuvent pas être résolus par la seule lutte contre le capitalisme.
L’écoféminisme doit aussi faire partie de notre analyse des oppressions. Si le capitaliste peut transformer la terre en marchandise par l’extraction des richesses naturelles, qu’il peut la mutiler, la brûler, la rendre stérile, de même il considère les femmes comme marchandise et les personnes qui s’identifient comme femmes subissent viols, violences, agressions et féminicides.
Afin de construire une société réellement libre, les socialistes visent donc la fin de toutes les oppressions et formes d’exploitation. Pour atteindre cet objectif, nous visons l’organisation d’une classe de travailleurs et de travailleuses solidaires dans toute sa diversité. Ceci implique de bien balancer les revendications de classe, de sexe et d’origines ethniques.
Nous insistons sur l’importance de luttes pour des revendications dont l’ensemble de la classe des travailleurs et des travailleuses bénéficiera – systèmes de santé et d’éducation publics, gratuits et de qualité; droit au logement digne ; affermissement des droits syndicaux, etc. – dans la mesure où elles permettent aussi de s’attaquer aux autres oppressions et formes d’exploitation. Ces revendications sont particulièrement bénéfiques pour les personnes qui s’identifient comme femmes et pour les personnes racisées, car elles réduisent la compétition pour des ressources qui nourrissent les préjudices et les divisions au sein de la classe des travailleurs et des travailleuses. En contribuant à la sécurité socio-économique des personnes opprimées et surexploitées, elles réduisent par le fait même le pouvoir des oppresseurs et des exploiteurs, y compris celui des patrons abusifs, des conjoints violents, des pratiques gouvernementales abusives, ou des propriétaires racistes.
Ces revendications qui bénéficieront à l’ensemble des travailleuses et des travailleurs sont toutefois insuffisantes. Les socialistes doivent aussi s’attaquer directement aux formes de domination et d’exploitation qui divisent la classe des travailleuses et des travailleurs et soutenir les mouvements autonomes de groupes opprimés. Au Québec, ceci inclut entre autres (mais pas exclusivement !) la lutte contre les atteintes aux droits des minorités racisées, par exemple l’islamophobie; la défense et l’extension du droit à l’avortement ; la lutte contre la division sexuelle du travail et contre la violence faite aux femmes ; les luttes autochtones; la défense des droits des personnes LGBTQ+ ; et la défense des droits des personnes en situations de handicaps.
Les socialistes doivent contribuer à faire de ces luttes des mobilisations de masse et à ce que leurs revendications s’intègrent à une stratégie d’ensemble. Si certains affirment que l’organisation et les luttes autonomes des personnes qui s’identifient comme femmes ou des personnes racisées minent la solidarité de classe, nous pensons au contraire qu’elles peuvent la nourrir : l’expérience du pouvoir collectif des personnes qui s’identifient comme femmes et/ou des personnes racisées en lutte peut les amener à viser une solidarité de classe plus large, et inspirer d’autres groupes à construire notre pouvoir face au capital. La solidarité est contagieuse.
Notre recherche d’unité de classe nous amène par contre à rejeter la perspective qui ferait simplement découler les oppressions et les diverses formes d’exploitation d’idées erronées ou néfastes – plutôt que de cibler leurs sources systémiques – et qui a recours à des tactiques d’humiliation (« shaming ») dans le but de transformer les comportements. Une telle perspective fait dépendre l’émancipation du bon vouloir de l’oppresseur et mine la solidarité de classe et les luttes contre l’exploitation et l’oppression en divisant nos forces. Ceci dit, nous considérons le concept de privilège, ainsi que la théorie et le militantisme informés par ce concept, comme compatibles avec une approche socialiste, et nous reconnaissons qu’un groupe politique doit se doter d’une politique interne et formalisée afin de lutter contre l’oppression en son sein.
Pour lutter contre les autres systèmes d’exploitation, les groupes concernés doivent nécessairement s’organiser et lutter sur des bases autonomes. Par exemple, l’histoire nous démontre que les revendications, les réalités des femmes, les violences qu’elles subissent ne se résorbent pas uniquement par l’abolition du capitalisme. Le patriarcat a survécu trop longtemps a différentes formes d’organisation sociale. Il faut que les groupes concernés s’organisent sur leurs propres bases et restent organisés tout au long des différentes luttes à la fois à la base même dans les syndicats, les partis politiques, les quartiers, les groupes communautaires avec des formes de caucus qu’à la fois sur des bases régionales, nationales, continentales et mondiales dans des coalitions larges, non mixtes et démocratiques. Les formes non mixtes sont essentielles pour permettre aux groupes concernés de prendre leur place, à développer leur confiance, à combattre les violences subies. C’est la meilleure manière de rendre clairs les stigmates laissés par les différents systèmes d’exploitation et d’oppression.
Une organisation socialiste qui se revendique du féminisme doit travailler à construire de tels mouvements autonomes. Par exemple, les militantes socialistes qui s’impliquent dans les luttes du mouvement des femmes travaillent à renforcer cette unité et cette solidarité de toutes les personnes qui s’identifient comme femmes sans exception. Mais comme socialistes, elles doivent aussi avancer des revendications qui remettent en cause le patriarcat et le capitalisme et créer à l’intérieur de ce mouvement autonome un courant sur des bases de classes. La Marche mondiale des femmes regroupe internationalement des groupes, des coalitions, des centres de femmes et est l’embryon d’un tel mouvement. Et à partir de ce mouvement autonome, il est possible d’organiser des mouvements de masse regroupant d’abord les personnes qui s’identifient comme femmes. Les exemples chilien et argentin en sont des démonstrations importantes.
L’offensive néolibérale contre nos acquis
Ancrer nos luttes contre l’exploitation et l’oppression dans la conjoncture historique actuelle exige de prendre acte de la défaite de la classe des travailleurs et travailleuses ; défaite qui a mis fin aux luttes et acquis des « trente glorieuses ». Les droits syndicaux sont attaqués, les effectifs syndicaux stagnent ou reculent, le nombre de grèves atteint des creux historiques, et les salariés sont contraints à des concessions incessantes. De nombreux mouvements sociaux se sont professionnalisés et ont été cooptés par l’État. Les partis sociaux-démocrates ont pris un tournant résolument néo-libéral, et les partis communistes poursuivent leur long déclin vers l’insignifiance. Pour la première fois depuis la fin du 19e siècle, la classe des travailleurs et des travailleuses de nombreux pays n’ont plus de partis capables d’articuler et de représenter leurs intérêts.
Le néolibéralisme a un ancrage matériel et n’est pas qu’une idéologie – c’est la politique du capital qui ne rencontre pas de résistance populaire efficace. La défaite et l’atomisation de la classe des travailleurs et des travailleuses débouchent sur une dégradation des conditions de travail et de vie. Elle entraîne aussi la stagnation des salaires réels, alors même que la productivité du travail ne cesse de croître. L’érosion des programmes sociaux et la marchandisation des services publics, favorisent le recours à l’endettement. Tout cela nourrit la croissance des inégalités et pousse à la recherche de solutions individuelles régressives telles que les baisses d’impôt.
La conjoncture est caractérisée par une triple crise. La Grande Récession de 2008 (ainsi que le ralentissement de la croissance et la période d’austérité qu’elle a ouverte), l’urgence écologique et climatique, et la crise des démocraties libérales (les partis se suivent, les politiques néolibérales restent, l’extrême-droite gagne du terrain !) sont autant de dimensions de la perte croissante de légitimité des systèmes politiques et économiques en place.
C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu de nombreuses mobilisations d’ampleur au cours des dernières années. Faute d’organisations et de perspectives stratégiques qui le permettraient, toutefois, la plupart de ces luttes ne débouchent pas (ou trop peu) sur une accumulation de forces populaires face au capital.
Après un premier élan en ce sens en Amérique Latine, on a pu constater plus récemment un retour des mouvements de résistance vers la politique partisane dans les pays du Nord Global. Québec Solidaire, Bernie Sanders, le Parti travailliste sous la gouverne de Jeremy Corbyn, ou encore Podemos en sont des exemples parmi d’autres. Il s’agit là de signes prometteurs qui peuvent permettre de meilleures articulations et défenses des intérêts des classes des travailleurs et des travailleuses.
Les mobilisations sociales et la politique partisane doivent toutefois trouver à s’articuler au sein d’une stratégie d’ensemble.
Avancer vers le socialisme
Nous savons que gagner les élections n’est pas la même chose que prendre le pouvoir. Sans une classe de travailleurs et de travailleuses organisée (en priorité sur les lieux de travail, où notre pouvoir potentiel est le plus grand), une victoire électorale socialiste ne signifie pas grand-chose.
Nous rejetons une stratégie limitée à des réformes graduelles qui n’envisage pas la nécessaire rupture avec le capitalisme. Lutter pour des réformes est essentiel ; le réformisme, qui vise à administrer l’économie capitaliste à l’avantage à la fois du capital et des travailleurs et des travailleuses, s’enferme lui-même dans une impasse. Le réformisme cherche à soutenir la profitabilité et la productivité des entreprises afin de créer les ressources nécessaires au financement de meilleurs salaires et programmes sociaux… alors même que le soutien à la profitabilité et à la productivité sous le capitalisme exige de sabrer les salaires, intensifier le travail, ou encore libéraliser les marchés. Si des avancées peuvent être faites en période de croissance, les crises – récurrentes et inévitables sous le capitalisme – imposeront éventuellement des politiques d’austérité. Ce sont là les mécanismes disciplinaires « automatiques » et inévitables du capitalisme.
De nombreux exemples historiques montrent clairement l’impossibilité d’une approche réformiste : le gouvernement social-démocrate des années 1970 en Suède, le gouvernement socialiste de François Mitterrand au début des années 1980, celui du NPD en Ontario au début des années 1990, ou encore celui formé par Syriza, en Grèce, de 2015 à 2019, pour ne nommer que ceux-ci. Ces gouvernements de gauche ont tous abandonné leurs programmes progressistes pour favoriser des mesures d’austérité.
Il y a des raisons à cela. En plus des mécanismes disciplinaires déjà mentionnés, si leurs intérêts sont menacés, les capitalistes mèneront – ou menaceront de mener – une « grève d’investissement ». Un gouvernement socialiste s’exposera aussi au sabotage de la haute fonction publique, des sommets des forces policières et des forces armées – ce qui peut déboucher sur la suspension de la démocratie, comme ce fut le cas au Chili en 1973.
À l’inverse, nous nous opposons aussi à une posture ultra-gauchiste qui substitue les aventures d’un petit nombre d’activistes aux mouvements de masse organisés et démocratiques. Nous rejetons une posture politique sectaire et purement propagandiste qui se donne des airs de radicalisme mais qui ne peut se rallier qu’une petite minorité de gens déjà convaincus.
Une rupture avec le capitalisme n’est manifestement pas à l’agenda politique à court terme. La question est donc de savoir comment nous pouvons avancer vers cette rupture.
Le travail d’organisation socialiste doit s’orienter vers la grande majorité de travailleurs et de travailleuses qui n’est pas encore politiquement active. Nous devons amener les gens à confronter ouvertement les capitalistes et leurs politiciens sur la base de revendications immédiates, tout en reliant chaque enjeu immédiat spécifique à sa cause fondamentale : le capitalisme. Notre but est de créer un mouvement de masse qui force les élites à faire des concessions – et éventuellement de les chasser du pouvoir.
Pour cela, notre perspective stratégique vise à combiner le travail de mobilisation sociale et le travail électoral dans une perspective socialiste. Notre tâche essentielle est de participer à la reconstruction du pouvoir de la classe des travailleurs et des travailleuses, qui devra ultimement lutter pour la prise du pouvoir. Pour cela, nous participons à organiser un courant visant à donner la priorité au travail dans les mouvements sociaux au développement d’une orientation de lutte de classe et de masse, afin de faire de QS un parti de masse et de la classe et des travailleuses et travailleurs.
Québec Solidaire doit devenir un parti qui combinera ses campagnes électorales au soutien de mobilisations extra-parlementaires de façon à convaincre un nombre croissant de travailleuses et de travailleurs de l’impasse du capitalisme et de la nécessité du socialisme. Cela exige de lutter pour des réformes structurelles qui, en plus d’améliorer les conditions de vie, amènent un transfert de pouvoir du capital vers notre classe. Il s’agit de réformes transitoires qui pointent au-delà de l’horizon capitaliste, et qui impliquent des luttes qui développent les capacités et élèvent les attentes des travailleurs et des travailleuses.
Nous ne prétendons pas savoir exactement comment se fera la transition du capitalisme au socialisme, mais nous souhaitons contribuer à la construction d’un parti qui saura intervenir dans la crise de légitimité du capitalisme et de l’État lorsqu’elle s’accentuera. Québec solidaire pourra même contribuer à créer une telle crise, en soutenant le développement de mouvements de résistance démocratiques et contrôlés par leurs bases – des masses de gens prenant eux et elles-mêmes en main l’organisation de grèves, d’occupations de lieux de travail, des grèves étudiantes, des manifestations monstres – et en formant un gouvernement qui met en œuvre des réformes structurelles qui s’attaquent au pouvoir du capital.
Des telles mobilisations massives et démocratiques, combinées à un gouvernement engagé dans des réformes structurelles, devra mener à une situation de rupture avec le capitalisme. Puisque la classe dominante ne cède jamais le pouvoir sans résistance, un gouvernement socialiste soutenu par des mobilisations populaires devra faire tout ce qui sera nécessaire pour défendre la démocratie et son mandat et pour accomplir un programme de redistribution, d’expropriations, et de réformes radicalement démocratiques des institutions étatiques. En parallèle, le gouvernement devra soutenir le développement de nouvelles institutions démocratiques populaires qui ne manqueront pas d’émerger de la base sur les lieux de travail et dans les communautés.
Des campagnes électorales de lutte de classe
Nous voulons former un parti de classe et de masse qui mène des campagnes électorales et qui aident à construire les mouvements sociaux. Nous voulons que Québec solidaire devienne un tel parti. Ceci implique de contribuer au développement de luttes et d’une unité de classe beaucoup plus grandes que ce qui existe aujourd’hui.
Tout comme l’objectif du parti ne peut pas simplement être de gagner les élections, ses campagnes électorales ne peuvent se réduire à des « stratégies de communication ». Les intérêts des travailleurs et travailleuses ne sont pas créés par les discours. Le discours du parti doit articuler des intérêts matériels et des conflits de classes qui existent déjà de façon latente dans la société. Entre la tiédeur du discours opportuniste et la langue de bois propagandiste, il faut développer un discours qui s’ancre dans les problèmes quotidiens des gens, les relie explicitement aux rapports de classe, et contribue à construire nos mobilisations.
Pour la majorité de la population, la politique se réduit aux élections. Ignorer l’importance du travail électoral, c’est donc se confiner à la marge et à l’insignifiance politique. Notre but est toutefois de contribuer à élargir la conception populaire de la politique, pour l’amener au-delà des élections et du parlement.
Un de nos plus grands défis est de faire usage de la politique électorale pour développer notre pouvoir tout en évitant le piège de la cooptation. Les député.e.s et les gouvernements de gauche doivent servir notre mouvement, jamais l’inverse. Les politiciens socialistes devraient agir d’abord comme organisateurs et organisatrices du mouvement, et comme législateurs.trices, ensuite. Elles et ils doivent se servir de leur poste et de leurs ressources parlementaires pour soutenir l’organisation des travailleuses et travailleurs et démontrer la façon dont les politiciens capitalistes font obstacle aux changements nécessaires.
Une stratégie par la base
La tâche la plus importante pour les socialistes est d’aider à développer un mouvement combatif formé de travailleurs et des travailleuses, diversifié et démocratique. Nos campagnes électorales de lutte de classe doivent s’inscrire dans un socialisme « par le bas » qui implique des luttes organisées démocratiquement et qui permettent à celles et ceux qui les mènent de développer leurs capacités et leur conscience politique. En luttant pour changer notre contexte politique et économique, nous nous transformons nous-mêmes – c’est ce processus d’auto-transformation et de développement de nos capacités qui nous permettra d’organiser nos institutions politiques et économiques démocratiquement.
Parce que les capitalistes dépendent de leur exploitation pour réaliser des profits, le plus grand pouvoir potentiel des travailleurs et des travailleuses est sur les lieux de travail. Ces lieux rassemblent des individus de toutes les provenances sociales et génèrent des intérêts communs qui peuvent servir de base à de puissants mouvements.
En ayant ceci en tête, les socialistes devraient contribuer à l’organisation des travailleurs et travailleuses de la base et construire le lien entre un mouvement socialiste et la minorité militante qui s’organise et lutte déjà sur les lieux de travail. Ensemble, nous pouvons construire des syndicats démocratiques et combatifs qui confrontent les employeurs, syndiquent les salariés non syndiqués, et mènent des campagnes politiques qui débordent des lieux de travail. De la même façon, nous devons soutenir les tendances démocratiques et combatives dans d’autres mouvements sociaux.
Il ne s’agit surtout pas de « noyauter » et de s’immiscer dans les mouvements syndicaux et sociaux à leur insu, mais au contraire de contribuer à la démocratisation et à l’autonomie de mouvements au sein desquels nous sommes nous-mêmes implantés. Il existe une gradation de niveaux et de modalités d’appui. Nous pouvons fournir un appui concret, tactique et matériel à l’organisation des luttes sur le terrain. Nous pouvons produire des analyses qui situent les luttes dans leur contexte politique et socio-économique plus large. Éventuellement, et lorsqu’une implantation réelle le permet, nous pouvons contribuer aux débats stratégiques qui orientent les luttes de façon transparente et démocratique.
Étant donné nos ressources limitées, notre attention devrait se porter vers des secteurs économiques et des mouvements sociaux stratégiques – ceux dans lesquels les travailleurs et les travailleuses ont les meilleures chances de s’organiser et d’exercer un pouvoir maximal face aux employeurs. Lorsque c’est possible, nous devons travailler de concert avec les dirigeants et les appareils syndicaux, tout en gardant en tête que les dirigeants et employés syndicaux sont souvent réfractaires à notre perspective du renouveau syndical. Sachant cela, et lorsque c’est possible, nous devons prioriser la formation de caucus de membres qui ont pour but de démocratiser et de revitaliser leurs organisations syndicales par la base.
La lutte pour l’indépendance
L’État canadien s’est construit par le biais d’une politique coloniale et d’assimilation des nations autochtones, métis, inuit, acadienne et québécoise. Les luttes sociales et politiques menées à partir des années 1960 ont permis de largement découpler l’exploitation de classe et l’oppression nationale des Québécoises et Québécois, qui avaient jusque-là été largement imbriquées. Aujourd’hui, les travailleuses et travailleurs du Québec sont exploités autant par le capital canadien, américain et mondialisé que par celui du Québec Inc., dont les dirigeants se sont rangés dans le camp fédéraliste. La nation québécoise n’est pas un groupe ethnique ou une simple identité subjective, mais un bloc de classes liées par une histoire et un territoire communs, une culture en constante évolution, une diversité de groupes sociaux et d’institutions communes qui définissent sa trajectoire et ses possibilités.
Toutefois, les droits (politiques, économiques, sociaux, etc.) de la nation québécoise sont toujours bafoués. La Constitution canadienne ne reconnaît pas l’existence d’une nation québécoise distincte et l’État fédéral lui refuse son droit à l’auto-détermination et la dépossède de plusieurs leviers politiques et économiques fondamentaux. Aujourd’hui, l’oppression nationale se fait sentir par les contraintes constitutionnelles et fiscales que l’État fédéral exerce sur l’État québécois. Ce sont d’abord l’incapacité de la nation québécoise à déterminer librement son avenir politique (loi sur la clarté référendaire), l’impérialisme de l’État canadien (État pétrolier, législation de complaisances des compagnies minières, paradis fiscaux) et la division des compétences entre paliers de gouvernement qui empêchent la nation québécoise d’agir collectivement sur ses conditions d’existence pour développer une société plus juste, écologique, démocratique et solidaire.
En parallèle, les Premières Nations continuent de subir une avilissante oppression et un déni de leurs droits fondamentaux. L’oppression coloniale que subissent les peuples autochtones relève autant de l’État fédéral que de l’État provincial québécois, qui est un rouage subordonné de l’État canadien. La libération des peuples québécois et autochtones implique donc de briser l’État colonial canadien. Quels qu’en soient ses auteurs, le colonialisme doit être combattu sous toutes ses formes : dépossession territoriale, déni des droits humains, génocide culturel, exploitation des personnes immigrantes et racisées par les patrons, l’État et ses polices, destruction environnementale, fabrication et vente d’armes en soutien aux projets impérialistes, etc.
La lutte pour l’indépendance du Québec et la libération des autres nations opprimées doit être un élément clé de notre stratégie socialiste. Une des failles principales du capitalisme canadien réside dans le fédéralisme qui lui sert d’enveloppe politique tout en opprimant les nations minoritaires en son sein. La lutte pour l’indépendance doit dépasser le cadre provincialiste et s’inscrire résolument dans une stratégie pan-canadienne. Cette lutte doit sortir du carcan nationaliste bourgeois – l’idée selon laquelle nos intérêts sont plus près des capitalistes d’ici que de ceux des travailleuses et travailleurs d’autres nations. Il n’est pas question non plus d’opposer, comme le font vulgairement les nationalistes identitaires, la nation québécoise aux minorités, mais de rassembler les classes travailleuses, les sans-travail, groupes subalternes et peuples autochtones au sein d’un projet de libération plurinational. Un projet indépendantiste émancipateur doit donner un contenu socialiste, antiraciste et décolonial à la question nationale, ce qui implique une rupture avec le Parti Québécois, qui a retourné l’aspiration à l’indépendance nationale en son contraire, notamment en appuyant le libre-échange et la politique étrangère états-unienne. Les élites nationalistes ont aussi promu une conception identitaire de la nation qui a nourri le racisme, l’islamophobie et la xénophobie.
La gauche indépendantiste doit au contraire lier sa lutte à un projet de société socialiste tout en appuyant l’autodétermination des nations autochtones et en développant des solidarités avec les mobilisations populaires partout au Canada. Ainsi, la lutte de la nation québécoise pour l’indépendance et celles des peuples autochtones pour leur auto-détermination pourra et devra encourager les travailleuses et travailleurs du Reste du Canada à rompre avec le nationalisme majoritaire qui participe de leur exploitation. Nous appuyons toute démarche visant, d’une part, la décolonisation immédiate des institutions canadiennes et québécoises actuelles, et d’autre part, la constitution d’institutions nouvelles fondées sur le principe d’autodétermination des peuples ainsi que la démocratisation de la vie politique et économique sur le territoire occupé par le Canada. Ainsi, nous voulons contribuer à l’établissement d’un front commun entre les différentes forces à l’oeuvre pour mettre en place des mesures concrètes telles que les réparations envers les peuples autochtones, les assemblées constituantes populaires, l’abolition des paradis fiscaux pour les entreprises minières, ainsi que le démantèlement du complexe militaro-industriel canadien.
Un nécessaire internationalisme
La lutte pour l’indépendance et pour le socialisme au Québec doit aussi nécessairement s’inscrire dans une politique internationaliste. L’État canadien est un État impérialiste à part entière et un partenaire de l’impérialisme étatsunien. La lutte à l’intérieur de – et en opposition à – l’État canadien doit se faire en solidarité à la résistance à l’impérialisme et au colonialisme à travers le monde. De même, nous devons confronter l’État québécois qui soutient l’exploitation du travail et des ressources naturelles à l’international et sur son territoire (travailleuses et travailleurs migrants temporaires).
Nous sommes solidaires des luttes socialistes et démocratiques, contre le capitalisme et contre les dictatures menées partout sur la planète. Conséquemment, nous rejetons la fausse logique voulant que « l’ennemi de notre ennemi est notre ami » (parfois nommée le « campisme ») – une position politique qui peut mener à la défense de dictatures au nom de l’anti-impérialisme.
Bien que ces luttes doivent être menées dans des cadres nationaux distincts, les travailleurs et les travailleurs forment ultimement une classe exploitée par le capital à l’échelle mondiale. Nous voulons donc un mouvement socialiste qui accumule les victoires à travers le monde. Ceci implique de construire de fortes relations avec les partis et organisations socialistes d’autres pays, et donc d’envoyer et de recevoir des délégations, de participer aux débats stratégiques internationaux et ultimement de coordonner nos stratégies nationales.
Transition juste et écosocialisme
La communauté scientifique internationale est claire : un changement de cap rapide et décisif doit être effectué face à l’urgence climatique et environnementale. Nous ne pouvons faire confiance aux capitalistes pour l’effectuer. Un petit nombre des grandes entreprises multinationales produisent la majorité des émissions de carbone. La solution à l’urgence climatique ne peut s’appuyer sur des gestes individuels, ni même simplement sur des propositions techniques et scientifiques. Il s’agit d’une question de pouvoir et de contrôle sur l’économie, qui nécessite de puissantes actions collectives.
Autrement dit, l’enjeu environnemental est un enjeu de classe. D’abord, parce que ce sont les plus pauvres partout sur la planète qui subissent le plus fortement les impacts des changements climatiques. Ensuite, parce que l’évitement de la nécessaire transition énergétique sert les intérêts du capital, alors que les grandes entreprises produisent les marchandises qui limitent et orientent nos choix de consommation tout en maximisant leurs profits. Enfin, parce que ce sont les travailleuses et travailleurs qui sont le mieux positionnés stratégiquement pour imposer une transition aux capitalistes en exerçant le pouvoir qu’elles et ils ont de stopper le fonctionnement normal du système économique.
La lutte environnementale doit donc s’appuyer sur la classe des travailleuses et des travailleurs et impliquer activement le mouvement syndical. Elle doit être menée de façon à explicitement servir les intérêts matériels de cette classe plutôt que de culpabiliser celles et ceux qui la composent.
Les taxes et bourses du carbone vont contre les intérêts des travailleuses et des travailleurs et sont inefficaces – au Canada, les revenus dégagés sont largement versés en compensation sous forme de dividendes plutôt que de financer la transition. Ces politiques laissent l’initiative aux mains des entreprises privées – qui priorisent nécessairement la maximisation de leurs profits – et les émissions totales de carbone continuent donc d’augmenter. Ce qu’il faut taxer, ce n’est pas une molécule (le carbone) – ce sont les riches et les entreprises qui profitent de ce système. Les revenus dégagés doivent servir à financer un plan de transition juste qui permet de sortir de l’économie du carbone. Ce plan doit améliorer substantiellement et immédiatement les conditions de vie des travailleuses et travailleurs. Ceci implique par exemple des projets d’infrastructure et de conversion d’entreprises d’ampleur qui garantissent des emplois verts de qualité, un développement du transport en commun qui réduira massivement les embouteillages, ou encore la nationalisation et la démocratisation de secteurs économiques clés.
Il n’y aura pas de capitalisme vert, et le socialisme devra être un « écosocialisme ». Il permettra une transformation de notre rapport à la nature par une démocratisation de l’économie. Nous pourrons alors organiser la production non plus pour maximiser les profits, mais pour répondre à nos besoins en préservant la seule planète que nous avons.