par Bernard Rioux
La déclaration de Saguenay marque une nouvelle étape dans le processus de redéfinition de Québec solidaire un parti aspirant à gouverner le Québec. Mais, il faut se demander quels sont les fondements de cette redéfinition et de l’urgence de réécrire notre programme qui a été fondement de notre parti.
« Malgré tout nous partageons les mêmes problèmes, les mêmes valeurs et le même désir d’un avenir meilleur… Ici, nous sommes capables de dialoguer, nous avons un Québec en commun ». (Préambule de la déclaration de Saguenay)
Pourtant, au Québec, il y a des différences que nous ne pouvons pas nier. Les multinationales des énergies fossiles ont des intérêts qui ne sont pas ceux de la majorité populaire. Les grandes multinationales minières ou forestières exploitent indûment nos ressources naturelles. Les grands banquiers et financiers profitent des taux d’intérêt élevés. Les grands promoteurs immobiliers ont le pouvoir de bâtir ce qui leur rapporte gros au mépris du besoin élémentaire de se loger. La société québécoise est de plus en plus inégalitaire et les richesses du Québec tentent à se concentrer dans les mains d’une minorité possédante. Cette minorité a également trouvé les moyens à ne pas payer sa juste part en termes d’impôt.
Pour faire à ces inégalités, pour assurer la justice sociale, il va falloir unir la majorité populaire contre une minorité prédatrice. On ne peut donc se contenter de phrases qui nient cette réalité : « Unir, pas diviser, c’est notre vision de l’avenir du Québec et c’est l’avenir de Québec solidaire ». Voulons-nous nous associer à des responsables politiques qui se sont mis au service de cette classe dominante ? Ce serait là prendre le chemin de dangereuses compromissions. Voulons-nous être le parti de gouvernement, d’une société inégalitaire dans lesquels les choix économiques les plus déterminants pour l’avenir de la planète, seront aux mains des grands propriétaires du capital financier, industriel ou immobilier ? Dénier les luttes d’intérêts contradictoires qui traversent la société québécoise, cela ne nous permettra pas d’identifier clairement les défis auxquels fait face la majorité populaire.
1. Transition écologique : changer sans culpabiliser
Les responsables de la crise climatique sont identifiés : les industriels et les politicien-ne-s à leur service. Ces industriels (majoritairement masculins et blancs) sont tenus par la logique capitaliste à d’abord rechercher des profits, à exploiter les ressources au maximum, à produire plus pour gagner plus. Ils ne sont pas partie de la solution. Au contraire, ils n’arrêtent pas de dresser des obstacles à la lutte aux changements climatiques et à la protection de la biodiversité.
« Les Québécoises et les Québécois veulent faire partie de la solution à la crise environnementale. Ils et elles sont prêts à faire des efforts et à changer leurs habitudes, mais ce sont les gouvernements qui ont la possibilité et la responsabilité de leur offrir des alternatives réalistes, particulièrement à l’extérieur des grands centres ».
… Les grands patrons du Québec sont des Québécois qui ont leurs solutions à la crise climatique, c’est la croissance verte, qu dénie la nécessité de la sobriété et la diminution de l’exploitation des ressources. Un gouvernement solidaire devra en être un de rupture avec le capital prédateur et être capable d’assurer l’autonomie politique et idéologique de la majorité populaire afin de pouvoir s’opposer aux solutions de la classe dominante qui nous conduit directement dans le mur de la crise écologique.
Les propositions avancées ne constituent pas en fait une véritable transition écologique. Elles ne permettent pas d’identifier les obstacles sur le chemin de la transition, les pouvoirs qu’il faudra renverser, les ruptures qu’il faudra opérer. Il ne s’agit pas de « responsabiliser en priorité les grands pollueurs », mais de les empêcher de continuer de polluer, de gaspiller les ressources, de mousser la surconsommation. C’est tout cela qui participe à la destruction de la nature.
Miser sur la création d’alternatives de mobilité durable c’est quoi au juste. Est-ce accepter de faire de la voiture électrique et de la multiplication des investissements qui s’articule à un nouvel extractivisme une solution ? La transformation du parc automobile actuel par de voitures électriques qui est à la base de la filière batteries du gouvernement Legault, ne débouchera pas sur une mobilité durable, mais sur un nouvel extractivisme pollueur, et sur des dépenses insensées des ressources naturelles et énergétiques. Northvolt s’inscrit totalement dans cette dynamique. En aucune façon, nous ne pouvons pas nous affirmer agnostiques à ce niveau.
S’il faut prioriser le développement massif et rapide du transport collectif, faut-il laisser ce projet aux mains de la bourgeoisie québécoise ou en faire un véritable service public… En cela aussi, on ne peut en rester à des formules qui ouvrent sur tout un champ de possibles dont plusieurs ne peuvent que nous enfoncer dans une impasse.
Il n’y aura pas une transition écologique, sans penser la transformation de l’économie centrée sur la production de marchandises à une économie centrée sur la production pour les besoins sociaux… C’est vrai pour la nourriture, pour les logements, pour les moyens de transports. Parler de diversification des économies locales, c’est dire quoi au juste. Qui en seront les acteurs et actrices ?
2. Décentralisation : renverser la dépossession tranquille et libérer le pouvoir des régions
Défendre le principe d’équité territoriale, c’est sans doute une intention louable. « Que les régions rurales et les quartiers défavorisés en zone urbaine doivent avoir accès au même niveau de services que le reste du Québec » est de première importance.
Mais cette préoccupation pour la décentralisation si importante soit-elle, n’est pas l’axe central pour renverser une dépossession pas si tranquille. L’axe central, c’est la lutte contre la privatisation qui touche les secteurs de l’énergie, de la santé, de l’éducation et même de la fonction publique.
Pierre Fitzgibbon défend la privatisation de la production de l’énergie, en cédant des droits liés à la production électrique sur le territoire du Québec à des compagnies privées. C’est là un axe central de notre dépossession d’un bien commun national au profit d’intérêts privés. Christian Dubé privatise la première ligne du système public de santé et souhaite la construction de cliniques et d’hôpitaux privés qui vont contribuer à affaiblir le système public de santé. Les multinationales pharmaceutiques continuent à faire de l’argent avec les médicaments. Benoit Charette, le mal-nommé ministre de l’Environnement et de la lutte aux changements climatiques, changent les règlements pour permettre à Northvolt d’éviter la tenue d’un BAPE sans parler des multiples entreprises polluantes qui se voient soustraient aux normes environnementales servant à protéger la santé publique. C’est à une véritable dépossession à notre droit à la santé et à la sécurité au profit d’intérêts privés qui est en jeu. Marie-Élaine Duranceau, ministre de l’Habitation, diminue les droits des locataires et refuse de contrôler les augmentations spectaculaires des loyers et de protéger les locataires contre les évictions abusives et des manœuvres des spéculateurs.
Limiter cette dépossession au seul enjeu de décentralisation, c’est passer à côté les fondements de cette dépossession, soit une privatisation rampante qui remet de pans entiers du bien commun de la majorité populaire dans toutes les régions du Québec dans les mains des intérêts privés.
3. Territoire : protéger et valoriser ce que nous partageons.
Ressources naturelles
« Alors que s’engage une nouvelle ruée vers les ressources stratégiques du Québec, il est essentiel que le peuple québécois et les Nations autochtones soient maîtres de leurs ressources et déterminent les règles qui guident leur exploitation et leur exploitation. »
D’où vient cette ruée ? Elle a sa source dans la course aux matériaux stratégiques et à la multiplication des claims qui en découle. Elle vient du projet d’électrification du parc automobile sous la haute main des multinationales de l’auto et des entreprises qui sont appelées à fournir les différentes composantes, de ces voitures, dont les batteries.
Quand le Québec a voulu être maître chez lui. En matière d’énergie, il a nationalisé l’électricité. La déclaration de Saguenay se contente de réclamer la détermination des règles qui guident cette exploitation et leur exploration, sans poser un véritable contrôle public des entreprises minières et forestières, contrôle qui ne peut passer que par l’appropriation de ces entreprises par leur expropriation sans compensation. Se contenter d’une meilleure répartition directe des redevances aux régions, et proposer le développement des coopératives sans poser la fin du pouvoir des multinationales sur nos richesses naturelles, c’est tout simplement se placer en position de faiblesse et empêcher que ces nouveaux modèles économiques publics, coopératifs et d’économie sociale puissent véritablement s’imposer.
Parler du rôle central de l’industrie forestière, sans questionner les formes de propriétés actuellement dominantes, les pratiques forestières marquées par des coupes à blanc, c’est prendre bien à la légère la défense de la durabilité de nos forêts. C’est faire croire que la défense des populations des régions puisse faire fi de la remise en question de la domination des grandes multinationales forestières, minières et énergétiques sur nos ressources naturelles.
Agriculture
Présenter l’agriculture au Québec comme le seul fait du travail des agriculteurs et agricultrices, sans définir le cadre économique dans lesquels, ils et elles doivent travailler, c’est refuser de parler, des semenciers, des fournisseurs d’engrais, de machineries agricoles et des financiers qui créent tout un système de contraintes sur le travail quotidien des agriculteurs et des agricultrices. De là à conclure que « le secteur agricole n’a pas besoin d’une réforme de structure », il n’y avait qu’un pas à faire et ce dernier a été franchi allègrement. Québec solidaire fait maintenant silence sur l’agro-écologie et écarte de ses considérations toutes les agricultures qui ne correspondent pas au modèle industriel agro-exportateur. C’est pourquoi, la déclaration de Saguenay non seulement ne dit pas un mot de la diversité des agricultures au Québec, et conséquemment, elle affirme « renoncer à réformer le syndicalisme agricole. » Si aujourd’hui, les agriculteurs et agricultrices descendent dans les rues, c’est que leur situation est plus que difficile, et qu’il va falloir non seulement les soutenir, mais repenser ses pratiques face aux conséquences dramatiques de la crise climatique.
Filière batterie
Présenter la filière batterie, sans éclairer les liens avec le développement de l’extractivisme, sans éclairer le fait qu’elle est liée dans le contexte actuel d’abord et avant à l’électrification de l’auto-individuelle, sans montrer que cette filière est dans les mains tant au niveau minier qu’industriel, d’entreprises multinationales ayant leur propre agenda, c’est refuser d’éclairer ce que devrait être la mission d’une telle filière en liaison avec la production de matériel de transport public. Proposer de confier à des entreprises québécoises le développement de cette filière c’est proposer le développement du capital qui aura lui aussi son propre agenda. L’entreprise privée visera à produire plus, élargir son marché et orienter sa production vers les débouchés les plus payants et les plus prometteurs et ne s’inscrira pas dans une logique de planification de matériel roulant répondant au besoin de sortie de l’industrie automobile.
Habitation
La crise de l’habitation a une dimension nationale. Le reconnaître est déjà un pas dans la bonne direction. Elle a aussi une réalité générationnelle. La dimension féministe est également importante et la déclaration de Saguenay revendique « de lancer un programme de construction rapide de maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale ».
Si le texte rappelle que l’explosion du prix des maisons est la conséquence directe de la spéculation immobilière. Elle ne fournit le moindre éclairage sur les fondements de la crise du logement. Mais la déclaration de Saguenay affirme : « les organismes communautaires, les municipalités et les milieux d’affaires s’entendent : il y a urgence d’agir ». Il y a un point aveugle que la déclaration ne cherche pas à éclairer. Les spéculateurs ne sont-ils pas des membres du milieu des affaires. Les promoteurs immobiliers qui décident de construire des condos luxueux parce qu’ils espèrent en tirer plus de profit que d’investir dans les logements sociaux ne sont-ils pas des membres de ces milieux d’affaires ? Faut-il laisser aux entreprises privées et au marché le choix de construire des logements sociaux ? En fait, c’est un choix qui ne peut s’appuyer que sur la dénégation des intérêts contradictoires qui sont en jeu. Et un appel à la concertation sociale et à un nouveau sommet national à une nouvelle Corvée Habitation repose sur cette dénégation.
« Enfin, s’il est souhaitable d’augmenter le stock de logements disponibles dans plusieurs localités du Québec, les gouvernements et les administrations municipales doivent soutenir en priorité la construction de logements hors du marché privé afin d’augmenter le nombre d’habitations à bas prix, qui a eu tendance à diminuer au pays dans la dernière décennie, et de prévenir de futures hausses. Cela signifie de miser sur le logement social et communautaire, qui regroupe notamment les habitations à loyer modique, les coopératives d’habitation et les organismes sans but lucratif d’habitation. L’exemple de Vienne, en Autriche, montre que la création massive de logements sociaux est un outil puissant pour préserver l’accès au logement à travers le temps. Tant que celui-ci dépendra d’un marché organisé de manière à garantir des profits aux propriétaires d’habitations, la capacité des locataires à se loger convenablement sera toujours menacée, car soumise à l’impératif de rentabilité. » Julia Posca et Guillaume Hébert, Crise du logement : un marché locatif en manque d’encadrement, 29 juin 2023, in 2023, site de l’IRIS.
Nécessité d’avancer ensemble
La déclaration nous donne une vision mobilisatrice du Québec à construire. « L’État québécois doit renouer avec l’interculturalisme et promouvoir une citoyenneté québécoise rassembleuse, fondée sur notre langue officielle et commune et sur le dialogue avec toutes les cultures qui enrichissent le Québec. » Elle rejette explicitement le nationalisme conservateur.
La déclaration nous propose la voie de l’ouverture, du compromis, de la négociation, de la pacification et du consensus… Les propositions sont intéressantes :
« Québec solidaire adhère au modèle interculturaliste des bâtisseurs du Québec moderne » ;
Québec solidaire s’engage à défendre les droits et libertés des Québécois et des Québécois
Ainsi, u gouvernement de Québec solidaire va affirmer la primauté de la Charte québécoise des droits et libertés ».
Les propos de l’indépendance sont généreux plus que généraux : « Notre projet d’indépendance est un projet de transformation de la société pour que les Québécois et les Québécois de toutes provenances vivent mieux. Il faut faire un pays pour le monde et pour changer le monde. »
Les combats contre la surexploitation de la population immigrée et des communautés ethnoculturelles, contre l’inégalité de genre qui se combinent à cette surexploitation, la lutte contre la discrimination à l’emploi comme dans le logement et la lutte antiraciste par l’action de masse seront essentielle pour créer de nouveaux liens sociaux et jeter les bases d’une véritable inclusion et créolisation de la société québécoise. Les luttes sociales et politiques impliquant l’ensemble de la population seront seules à même de constituer le creuset nécessaire à la création d’une nouvelle identité collective et partagée. L’unité nouvelle ne pourra être construire qu’autour d’un projet émancipateur.
Les difficultés de contrer l’offensive néolibérale et la déconstruction de l’État social, l’affaissement de la légitimité de la politique d’une classe politique élitiste et néolibérale, les échecs de la stratégie souverainiste dominante incapable de contrer les stratégies de construction nationale de l’État canadien, tout cela s’est combiné pour créer une crise économique, sociale et nationale dans lequel se résume le blocage de la société québécoise. La crise identitaire actuelle est le reflet de ce blocage.
Tout point de vue essentialiste (la vraie nature des Québécois-e-s) laisse échapper la réalité dans le temps et dans l’espace de l’identité québécoise. Cette identité politique est mouvante et instable et est traversée par une série d’identités partielles (appartenance ethnique, appartenance de classe et idéologique ou religieuse) d’une part et par les réussites et les échecs de la lutte nationale qui module cette structure identitaire au gré des rapports de force d’autre part. C’est donc le système des rapports de force dans l’ensemble de l’État canadien et la capacité ou non de remettre en question cette domination de l’État fédéral sur le Québec qui déterminera la structuration de l’identité québécoise et sa force d’attraction et sa capacité de réaliser une nouvelle identité nationale et non d’abord une pédagogie volontariste de ralliement à un système de valeurs, même s’il ne faut pas lui dénier un rôle.
C’est pourquoi il est nécessaire de définir les grands axes d’une remobilisation contre cette société néolibérale pour un Québec écologiste, féministe et solidaire, si nous voulons construire un Québec indépendant, inclusif et égalitaire. Cela va passer par une stratégie de lutte pour l’indépendance qui va se faire dans une démarche de souveraineté populaire appelée à refonder le Québec, ses institutions, par la défense de l’égalité sociale, la lutte pour l’égalité concrète hommes/femmes et par l’élargissement de la démocratie dans la perspective de la fondation d’une véritable république sociale…