30 avril 2024
par Émilise Lessard-Therrien
Je prends la parole aujourd’hui pour vous annoncer que je quitte mes fonctions de porte-parole féminine de Québec solidaire. Quatre mois à peine ont suffi à m’épuiser. Complètement. Je suis partie en arrêt de travail fin mars, les deux genoux à terre, l’élan freiné.
Tiré de la page Facebook de l’autrice.
Je suis venue ici pour qu’on rapproche le pouvoir du monde, pour défendre le Québec en entier, pour lutter contre la renaissance des colonies-comptoirs dans les « régions ressources », pour un Québec habité de communautés vigoureuses partout, pour la réappropriation de tous nos pouvoirs et nos savoir-faire. À l’image de Manon, je souhaitais cultiver de la sensibilité, du cœur, de l’écoute, de l’authenticité et de la franchise en politique.
Ma vision pour Québec solidaire était claire. Je l’ai trimballée avec moi aux quatre coins du Québec pendant 6 mois, le temps d’une longue course pour le poste de co-porte-parole féminine, une course que j’ai voulue la plus franche possible. Une vision que les rencontres et les échanges avec les membres ont extraordinairement enrichie, à mon grand bonheur, parce qu’une vision qui n’est pas souhaitée et portée par un grand nombre de personnes n’a tout simplement pas d’avenir en politique.
Cette vision pour le parti, c’est que notre projet de société soit le plus incarné possible. Je voulais qu’il ne se laisse pas effacer par les habituels compromis, les calculs d’image et les indicateurs de votes. Je voulais qu’on se remette à éveiller l’enthousiasme pour ce projet, plutôt que de se mettre à la remorque de ce qui est « gagnable » à court terme.
Les dernières semaines ont été éprouvantes. Il m’est difficile aujourd’hui de prendre parole par souci de ne pas faire mal à mon parti. Québec solidaire est rempli de gens de cœur qui, depuis le début, ont donné énormément à la construction d’une alternative de gauche inspirante et mobilisante au Québec. Comment exprimer ce que je vis sans nuire à leur travail, à notre travail acharné ?
Au milieu de mes nombreuses nouvelles fonctions comme porte-parole féminine de Québec solidaire, j’ai cherché un petit espace sauvage pour semer de nouvelles idées, tenter l’incalculable, le risque. Essayer d’insuffler un nouveau souffle au parti, ou enfin, un souffle qu’il possédait avant. Y faire entrer l’air frais du pays, qui sent bon l’épinette, la terre mouillée et la brise salée du fleuve.
Mais je me suis vite aperçue que le train était déjà bien en marche. J’ai voulu y monter, tenter d’influencer le cadre de réflexion et de décision mené ou nourri par une petite équipe de professionnel.le.s tissée serrée autour du porte-parole masculin. J’y suis parfois arrivée, mais je m’y suis sentie bien seule et j’ai eu du mal à y trouver mon espace. Les différentes visions se sont entrechoquées, me paraissant difficilement compatibles, grafignant au passage mes motivations profondes à être co-porte-parole de Québec solidaire. Comme un gel tardif sur des fleurs fraîchement écloses, mon enthousiasme naturel s’est vite flétri. Ma fougue en a pris un coup.
Et puis, au travers de ça, je me suis fait gronder ou culpabiliser pour des prises de paroles sincères, pour avoir donné des opinions ou suivi mon intuition. On m’a invalidée quand j’ai nommé des besoins.
Alors, j’ai commencé à avoir peur, peur de dire, peur de ne pas être entendue, reconnue, comprise. Peur de monter sur cette tribune que j’ai tant souhaitée pour faire vivre mes convictions et celles des membres dans l’espace public. Peur de perdre l’espoir. Peur, surtout, de perdre le sens.
Pour ces raisons, je suis tombée en mode « survie » dans mon parti, à essayer de garder la tête hors de l’eau, à me dépatouiller avec ce qui me semblait être des incongruités organisationnelles, à tenter tant bien que mal d’alimenter ma flamme et ma confiance contre vents et marées et de rester connectée aux raisons profondes de mon engagement. Pendant ce temps, je n’étais pas en train de prendre soin des membres comme j’aurais souhaité le faire, pas en train de développer des liens avec nos associations pour qu’elles sentent qu’elles sont partie prenante de notre projet. Je n’étais pas en train d’accompagner le caucus, de tisser du lien avec chaque député.e alors qu’ils et elles étaient en droit de s’attendre à plus de leadership, plus de cran. Je n’investissais pas les mouvements comme je l’aurais espéré.
En dedans de moi, je n’avais plus rien pour nourrir le courage de l’action. Plus rien pour prendre soin. Je n’y arrivais plus. Je me suis épuisée, complètement.
Moi qui voulais si fort plonger les racines du parti dans les régions du Québec. Depuis là où le fleuve St-Laurent devient mer jusqu’au lac Abitibi, que partout on se reconnaisse en nous et pas juste là où on a des « chances de gagner »… Je dois me rendre à l’évidence : il m’a été impossible de plonger mes propres racines dans la direction du parti. La vision différente que je proposais s’est heurtée à un blocage organisationnel, au sein d’un parti qui a été créé pour faire de la politique autrement.
Et là, le sens s’en est allé. Me foutant un sale coup derrière les genoux au passage pour que je tombe. « L’ascension n’est pas sans souffrance lorsqu’on s’élève dans le non-sens », chante Jérôme 50.
Puis, à un moment, je suis rentrée à la maison et il y en avait plein de sens là, assise à la table de la cuisine, Flora qui bricolait dans le soleil. Ce soleil en flaques de lumière dans les sillons mouillés du champ devant la maison. J’ai eu tellement soif de cette douceur, tellement soif de cette lumière.
Je n’arrivais plus à justifier la raison pour laquelle j’étais tout le temps partie. Autrefois, comme députée, je le savais. Lorsque je me suis lancée dans la course au co-porte-parolat, je le savais. Saint-Exupéry a écrit : « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose… Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer. »
Les semaines de mon arrêt de travail pour épuisement, je les ai passées dans la forêt à faire les sucres. Puis les érables se sont taris. Ce rituel printanier, qui fait passer le temps d’une saison à l’autre, n’a pas eu le même effet sur moi. Alors, on s’est mis au sirop de bouleau pour tenter de rassembler mes forces pour revenir, pour honorer le mandat qu’on m’a confié, qui était en droite ligne avec mon cœur. Le bouleau, il nous oblige à être encore plus patient. Il faut 3 à 4 fois plus d’eau pour tirer un litre de sirop. C’est fou comme parfois on trouve des réponses là où on ne les attend pas.
Un constat a commencé à émerger : je vais avoir besoin de temps, beaucoup plus de temps que je pensais pour retrouver la fougue de nourrir nos luttes avec tout le cœur dont je me sais capable. Comme celle qu’on a menée face à la Fonderie Horne. Comme celle que j’ai voulu mener pour les pêches dans l’Est du Québec. Comme celle que je voudrais mener aux côtés de nos producteurs et productrices agricoles qui ont tellement raison d’être dans la rue en ce moment.
Je sais aujourd’hui que pour retrouver mon souffle, je dois rester fidèle à mes convictions, fidèle à mes valeurs, fidèle à mes façons de faire et de prendre soin du monde. Je dois, surtout, prendre soin de ma santé. Et donc, je ne reviendrai pas.
À mes ami.e.s député.e.s : j’aurais tellement aimé qu’il en soit autrement. J’aurais tellement aimé ne pas être prise comme je l’ai été. Pouvoir prendre le temps de redéfinir avec vous une réelle vision partagée de ce que notre parti doit faire dans l’avenir. Pour les raisons que vous savez, ça n’a pas été possible. Tout au long de l’aventure vous m’avez aidée et soutenue de mille façons, et je vous en remercie profondément. J’ai confiance que vous saurez rebondir.
Aux solidaires de partout au Québec, aux gens de ma région, l’Abitibi-Témiscamingue et à tous ceux et celles que mon élection avait enthousiasmé.e.s : il me fait mal de penser que j’assombris l’espoir qu’on s’était planté dans le cœur. Ma seule consolation, c’est de savoir que si je choisis de m’arrêter et de prendre soin de moi, ce n’est que pour mieux resurgir à vos côtés, dans un autre rôle, dans les luttes pour redonner le pays et la justice aux gens qui habitent ce territoire et qui en prennent soin. Où ? Quand ? Comment ? Le temps le dira, mais je sais que ça viendra.