Le défi climatique et Québec solidaire – Une nécessaire rupture avec la politique de concertation sociale

Texte préparé par Bernard Rioux dans le cadre de débats de l’organisation Révolution écosocialiste.
4 mars 2024

 Québec solidaire doit en finir avec le refus total de faire une analyse des fondements capitalistes de cette crise climatique et de l’effondrement de la biodiversité. Il est urgent que le parti se donne un plan de lutte largement discuté et adopté pour contribuer au déclenchement d’une convergence des luttes. Ces luttes concrètes seront à la base de l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, où la majorité populaire pourra faire les choix économiques et écologiques nécessaires à la satisfaction des besoins et à la protection de la nature.

10 juillet 2023

  1. les fondements capitalistes de la crise climatique et de l’effondrement de la biodiversité

Les bouleversements climatiques sont maintenant visibles pour la majorité de la population de la planète. Mais ces derniers trouvent leurs fondements dans la croissance illimitée du capital et le règne de la valeur d’échange sur l’ensemble du système de production, de répartition et d’échange. Le capitalisme est non seulement un système d’exploitation et d’oppression, il est également un système de prédation de la nature, qui l’amène à ignorer les limites de la nature, tout en détruisant ses capacités de reproduction.

Québec solidaire a depuis sa naissance reconnu la réalité de la crise climatique et celle de la biodiversité. Il s’est solidarisé avec les luttes menées par les mouvements sociaux à cet égard. Il a même cherché à élaborer un plan de transition pour sortir de cette logique destructrice et a affirmé ces dernières années que c’était l’enjeu essentiel auquel il souhaitait s’attaquer. Pourtant, Québec solidaire s’est toujours refusé à identifier les fondements capitalistes de cette crise et a écarté le point de vue qui affirme que cette crise ne peut être dépassée qu’en dépassant le système capitaliste lui-même.

  1. Le capital fossile et les gouvernements à leur service – le déni de la réalité au nom de la défense de leurs intérêts

Le capitalisme fossile (les entreprises pétrolières, gazières et charbonnières ont tout fait pour nier les conséquences pour l’humanité et la terre de l’exploitation des hydrocarbures. Il a d’abord nié la réalité de la crise climatique et la nature anthropique de cette crise (causée par les activités humaines). Il a investi des sommes considérables pour répandre ce déni largement dans la population et développer le climatoscepticisme. Devant l’ampleur et la rigueur des révélations des scientifiques sur la réalité du phénomène, il a changé son fusil d’épaule et prétendu qu’il pouvait apporter sa contribution au processus de décarbonation de la planète. Mais il a refusé complètement de laisser le pétrole et le gaz dans le sol. Il a continué à investir des sommes considérables dans l’exploration et l’exploitation du pétrole et a mis en chantier des projets qui vont s’étendre sur les prochaines décennies. Tant et si bien que les émissions de gaz à effet de serre continuent à croître. « Elles ont augmenté de 60% depuis 1990. Plus d’émissions de CO2 fossile ont été émises en trois décennies (1990-2019), comptant pas moins de 25 « sommets sur le climat », qu’au cours des 249 années écoulées de 1750 à 1990. » L’année 2022 atteint même des sommets à cet égard.

Que ce soient dans les régimes de démocratie représentative ou dans les États autoritaires, les classes dominantes se sont rangées plus ou moins ouvertement derrière la défense du capital fossile et elles ont défendu la perspective de la croissance, qu’elle soit noire ou plutôt verte. C’est ainsi que les subventions aux entreprises pétrolières et gazières ont continué d’être considérables. Les dirigeants politiques ont cherché à prendre la direction de la gestion des changements climatiques et d’utiliser des mécanismes du marché et de la finance pour parvenir à un certain degré de décarbonation de l’économie (taxes, bourse du carbone, renforcement des capacités d’investissement des entreprises privées appuyé par l’argent public. ) Le gaz naturel a été défini comme une énergie de transition. Certains gouvernements ont même promu le retour de l’investissement dans l’industrie nucléaire. Le tournant vers les énergies renouvelables est présenté comme une occasion d’affaires et une nouvelle occasion d’accumulation du capital pour les entreprises. Sans dire que les gouvernements ont toujours cherché à cacher le caractère de classe de l’empreinte écologique et qu’ils ne se privent pas de défendre les dépenses des plus riches. Pour justifier la continuation de l’augmentation des GES, les gouvernements subventionnent les recherches en géoingénérie prétendant capturer le carbone et réduire le réchauffement climatique par différentes manipulations du climat.

Les gouvernements Trudeau et Legault ne sont distingués en rien de ces grandes orientations des gouvernements néolibéraux. L’abandon de l’exploration des hydrocarbures au Québec répondait d’abord à la faiblesse des ressources et à la force de la mobilisation citoyenne. Mais cela n’altère en rien l’approche croissanciste, extractiviste et de privatisation qui inspire la politique pour une économie verte. La croissance est à l’ordre du jour. Renforçons l’exploitation minière dans les secteurs qui permettront de fournir aux grandes entreprises de l’automobile les métaux nécessaires (plus ou moins transformés) à la reconstruction d’un immense parc d’automobiles électriques. Augmentons la production de l’énergie électrique et éolienne pour pouvoir attirer les entreprises étrangères qui voudront investir au Québec ou pour exporter de l’énergie pour satisfaire aux besoins des États-Unis. Favorisons la privatisation de l’énergie éolienne et solaire, même cette énergie est produite sous le contrôle de multinationales étrangères.

La mobilisation de la population et des mouvements sociaux peut certes bloquer certains projets, comme l’expérience historique l’a prouvé, mais tant que le pouvoir demeurera aux mains des gouvernements capitalistes et néolibéraux, ils continueront à développer une politique de la croissance économique où il sera nécessaire de développer de plus en plus la prédation des ressources, de l’énergie et du vivant tout en niant les limites de la planète.

  1. Québec solidaire – de la perspective d’un plan de transition à la politique de pression sur le gouvernement Legault à l’appel à l’unité nationale comme solution

C’est ce constat que tend à masquer de façon de plus en plus ouverte Québec solidaire dans sa pratique au niveau de la lutte aux changements climatiques. Le plan de transition économique de Québec solidaire « Maintenant ou jamais » a été présenté en 2018 comme « une révolution écologique ». [1] Mais ce plan ne remettait à aucun moment la propriété privée des moyens de production et du capital financier. Il laissait supposer que la transformation de l’économie capitaliste serait réalisable sans que soit posée la nécessaire rupture avec le capitalisme. Ce plan aurait pu ouvrir le débat sur cette question, mais il n’a jamais été soumis à la discussion dans les différentes instances de Québec solidaire.

« Si le document Maintenant ou jamais fait une description détaillée des différentes facettes de la crise écologique et avance des propositions permettant d’ouvrir de nouvelles perspectives, il évite de faire l’analyse des fondements systémiques de la crise climatique en régime capitaliste. Il s’abstient ainsi de préciser les obstacles à surmonter et les solutions à appliquer pour être à la hauteur d’une transition véritable. Il n’explique pas pourquoi le capital fossile et les secteurs qui lui sont liés refusent tout abandon des énergies fossiles. Il n’explique pas pourquoi la classe politique, malgré des discours sur le verdissement du capitalisme, refuse de donner la priorité à la lutte aux changements climatiques et à ses conséquences désastreuses et bloque toute véritable sortie de la logique de la croissance sans limite. Le document évite également de définir les conditions de la démocratie économique qui permettrait à la majorité populaire de faire les choix essentiels sur les produits nécessaires à une transition véritable (types, quantités et techniques de production, formes de consommation). » [2]

 

Fin mars 2019, Québec solidaire lance la campagne « Ultimatum 2020 » qui vise à faire pression sur le gouvernement pour qu’il élabore un plan de transition d’ici le premier octobre 2020, qui permettrait d’atteindre les cibles fixées par le GIEC ; l’évaluation de ce plan de transition par des experts indépendants du gouvernement ; l’interdiction de nouveaux projets d’exploration et d’exploitation pétrolière et gazière. En fait, Québec adopte une politique de pression parlementaire sur le gouvernement. En fait, Legault présente bien un plan, mais qui s’inscrit sans surprise dans une logique néolibérale. En mars 2020, alors que la pandémie s’impose, la campagne est suspendue ; elle sera abandonnée en novembre de la même année. Mais un tournant, c’était opérer. Québec solidaire définissait son action comme une pression, dans un premier temps, parlementaire et militante, sur le gouvernement Legault pour ce dernier rompre avec sa passivité sur la lutte aux changements climatiques et qu’il pose des gestes concrets.

Un nouveau plan, Vision 2030 – Plan climat de Québec solidaire – est apparu durant la campagne électorale de 2022 sans qu’il n’ait jamais été discuté non plus par les membres du parti. Il était formaté sur mesure pour une plate-forme pour un éventuel mandat. Son orientation stratégique faisait de la concertation le cœur de son orientation : « C’est pourquoi nous convoquerons l’ensemble des acteurs et actrices de la société civile québécoise à un grand Sommet national sur le climat. Les représentant.e.s du monde des affaires et des syndicats, les élu.e.s des villes, les groupes écologistes, les leaders autochtones, les associations étudiantes et les associations d’aîné.e.s ; l’ensemble des forces vives de la société québécoise seront réunies afin de lancer les grands chantiers pouvant nous permettre de relever le défi climatique. » [3]

Les feux dans la forêt québécoise et canadienne et les déplacements de population ont rendu évidente la réalité de la crise climatique qui n’est pas une perspective d’avenir, mais qui est déjà là. Gabriel Nadeau-Dubois précise maintenant son orientation en faisait la proposition suivante ; il propose aux chefs des partis politiques une rencontre au sommet sur l’adaptation climatique dès septembre pour trouver une solution « transpartisane » aux événements climatiques extrêmes. Il s’agit de « faire de l’adaptation aux changements climatiques une véritable priorité nationale, au-delà des frontières partisanes. » Au moment du bilan de la gestion parlementaire, Gabriel Nadeau-Dubois n’hésite pas à affirmer : « Je pense qu’il [M. Legault] n’a pas eu le choix d’évoluer. Il a évolué et on va continuer de faire notre travail pour que cette évolution-là se transpose en gestes concrets, a déclaré M. Nadeau-Dubois. Il n’y a pas de plus grande responsabilité pour la classe politique en 2023. » [4] 

  1. Programme d’action et stratégie écosocialiste

La concertation politique avec Legault et les autres partis ne peut offrir des solutions durables. Alors que le capital fossile et les gouvernements à leur service continuent à permettre que la crise climatique s’approfondisse avec toutes les conséquences désastreuses que cela produit, c’est à leurs actions et à leurs politiques criminelles qu’il faut mettre fin et cela ne viendra pas des sommets de la société capitaliste, mais de la convergence des luttes syndicales, écologistes, féministes, populaires à laquelle il faut travailler pour espérer bloquer ou atténuer les désastres qui se multiplient.

La stratégie contre la crise climatique et l’effondrement de la biodiversité ne peut venir que de la convergence des luttes des différents mouvements sociaux des travailleurs et des travailleuses, de la jeunesse, des peuples des Premières Nations, des agriculteurs et des agricultrices et des femmes. La participation consciente des travailleurs et des travailleuses à une transition juste constitue un apport incontournable dans les réorganisations de la production capables de répondre aux besoins de la population.

Une telle stratégie suppose l’élaboration d’un plan de revendications transitoires (de revendications concrètes et mobilisatrices qui remettent dans la dynamique même de la lutte la logique capitaliste de prédation et de destruction de notre environnement). Il ne s’agit pas de demander un ralliement idéologique à l’anticapitalisme ou à l’écosocialisme, mais de contribuer au développement de luttes concrètes qui permettront le développement de ruptures avec la logique capitaliste. Ce plan pourrait s’articuler autour des axes suivants :

  1. Agiter des revendications contre la consommation des riches qui sont les responsables de la plus grande part des émissions des gaz à effet de serre : jets privés, superyachts, tourisme spatial, formule 1, multiplication des voyages aériens. Dénoncer leurs choix écocidaires alors qu’ils continuent d’investir dans la production et la distribution d’hydrocarbures, dans leur gaspillage organisé par l’obsolescence des produits, par leur promotion de la surconsommation, par une publicité omniprésente… Exiger le contrôle des travailleuses et des travailleurs sur l’organisation, le contenu et la finalité du travail. Soutenir le contrôle et le droit de veto des Premières Nations sur leur territoire et leurs richesses.
  2. Partager la richesse en luttant la justice climatique qui passe par la justice fiscale et la justice sociale. Lutter pour la gratuité des services (transport urbain, eau, chauffage et éclairage) pour satisfaire les besoins de base. En finir avec les tarifs bas et préférentiels pour les industries fortes consommatrices d’énergie. Réintroduire une fiscalité fortement progressive basée sur l’imposition contre la taxation uniforme sur achats des biens de consommation payés également par les riches que par les travailleurs et les travailleuses. Développer une fiscalité sur les patrimoines, les successions et les hauts revenus et abolir les paradis fiscaux afin de pouvoir réinvestir dans les secteurs de santé et de l’éducation.
  3. Les secteurs clés de l’économie (exploitation des ressources, la production de l’énergie, production des biens essentiels (nourriture, logement, moyens de transport) et secteur financier ne peuvent être laissés au contrôle d’une minorité motivée essentiellement par l’appât du gain. Une planification démocratique passe par la socialisation par l’expropriation des grandes entreprises de ces secteurs et la décentralisation et la régionalisation de ces pouvoirs. Bloquer la privatisation de plus en plus généralisée des énergies renouvelables comme cela se produit aujourd’hui au Québec pour l’éolien et le solaire. Elle passe également par les biens communs (le transport public gratuit, le développement de la production sous contrôle public de logements sociaux et coopératifs bien isolés et énergétiquement autonomes. C’est dans le cadre d’une telle socialisation qu’il sera possible d’assurer les reconversions nécessaires vers des activités écologiquement durables et socialement utiles permettant d’assurer une transition juste.
  4. Sortir de l’agro-industrie d’exportation et de la pêche industrielle qui détruident les ressources de la mer. Soutenir une agriculture écologique centrée sur la souveraineté alimentaire qui ne serait pas basée sur la production carnée.
  5. Soutenir les luttes écoféministes centrées sur le prend soin des humains et du vivant. Lutter pour la reconnaissance et la valorisation du travail en santé, en éducation et dans la prise en charge des personnes âgées ou dépendantes autant d’activités invisibilisées et dévalorisées par le capitalisme patriarcal. Assurer le droit et l’accès à l’avortement libre et gratuit, à la contraception et opposer un front uni aux violences sexistes et sexuelles.
  6. Dans une optique de sobriété et de décroissance, il faut exiger la suppression des productions inutiles (armes, gadgets jetables, dépenses militaires de toute sorte,) refuser la priorité donnée à la production de voitures personnelles. Donner la priorité à la production de matériel roulant permettant l’utilisation de plus en plus généralisée du transport public.
  7. La solution du problème climatique ne peut se régler sur le terrain national. Il faut créer les conditions d’une lutte solidaire de tous veux et de toutes celles qui sont frappées par cette crise. Il faut mettre fin au durcissement des frontières, à la construction de murs et reconnaître aux migrants les droits de circulation et d’installation, particulièrement face à cette crise climatique qui provoqueront des déplacements majeurs des populations humaines. Le développement d’un internationalisme véritable au niveau de la lutte aux changements devra s’appuyer sur la lutte antiraciste et sur le refus de la domination impérialiste des peuples du Sud global. Cette solidarité passe également par l’abolition des brevets pour ne pas revivre par exemple l’accaparement des vaccins par les nations les plus riches comme durant la pandémie de la Covid 19. C’est donc autour de campagnes internationales à partir de la base portée par une dynamique de convergence que pourront être construites les conditions d’une véritable transition écologique permettant de mettre fin à l’exploitation capitaliste et à la destruction de la nature, apportant notre contribution à la bataille globale qui doit se développer à l’échelle de la planète.

 

Les nécessaires ruptures

En somme, Québec solidaire doit en finir avec le refus total de faire une analyse des fondements capitalistes de cette crise climatique et de l’effondrement de la biodiversité. Il est urgent que le parti se donne un plan de lutte largement discuté et adopté pou contribuer au déclenchement d’une convergence des luttes. Ces luttes concrètes seront à la base de l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, où la majorité populaire pourra faire les choix économiques et écologiques nécessaires à la satisfaction des besoins et à la protection de la nature. La construction d’un tel mouvement passe par une rupture radicale avec la classe dominante et le développement d’une autonomie politique face à ses insitutions politiques.

Telles sont les perspectives que nous devons opposer à une politique de concertation avec gouvernement Legault qui ne peut mener qu’à l’impasse et que promeut la direction actuelle de Québec solidaire.

Notes

[1Les contradictions de Québec solidaire dans la lutte aux changements climatiques, Bernard Rioux et Roger Rashi, Presse-toi à gauche !

[2Op.cit.

[3Vision 2030, Plan climat de Québec solidaire.

[4Marie-Michèle Sioui, Legault a « évolué » sur la question environnementale, juge QS, Le Devoir, 9 juin 2023