Le 15 mai 2015, les membres du Parti québécois ont non seulement choisi un patron comme chef, ils ont choisi LE patron ayant fait le plus de tort à la société québécoise au cours des vingt dernières années. La multinationale Québecor, sous la gouverne de l’héritier Péladeau, a été responsable pour les lock out de Vidéotron, du Journal de Québec et du Journal de Montréal, trois des conflits de travail les plus durs et les plus longs de notre époque. Plus encore, le résultat ultime du plan d’affaire de PKP a été de construire un empire médiatique intégré spécialisé dans la diffusion des pires médiocrités culturelles et de commentaires réactionnaires spontanés comme substitut à l’information.
L’idée qu’un tel homme soit le mieux à même de mener le peuple québécois vers son émancipation nationale, face aux menaces de l’État canadien et au chantage des marchés financiers, est d’une absurdité sans nom. Qu’il soit sincère dans ses convictions souverainistes n’y change rien. Il appartient à une classe sociale bien définie (le 1% du 1%…) et s’est déjà assuré de ne jamais avoir à perturber la tranquillité de ses semblables. Il est resté soigneusement évasif quant à ses intentions en regard d’un éventuel troisième référendum. Il promet de confier à un comité d’experts, soigneusement choisis par lui, le mandat de préparer une hypothétique transition, incluant un projet de constitution. Sa vision de la « souveraineté » n’a rien à voir avec l’autodétermination du peuple et se résume à remplacer une monarchie par une autre.
Il ne s’agit pas d’une rupture pour ce parti, mais bien de l’aboutissement logique d’un long cheminement. Après avoir toléré une aile gauche significative pendant ses premières années d’existence et adopté une série de réformes progressistes durant son premier mandat, le PQ de René Lévesque s’est tourné brutalement contre les travailleuses et les travailleurs du secteur public lorsque la situation économique était difficile au début des années 1980.
C’est aussi Lévesque, le mythique fondateur, qui a proposé l’alliance avec les Conservateurs fédéraux de Mulroney qui devait mener au libre-échange continental, entre autre. Aujourd’hui, Mulroney est président du conseil d’administration de Quebecor… En fait, PKP est bien intégré à une des cliques de la classe dirigeante pancanadienne. À preuve, son empire médiatique avait même lancé la heureusement défunte chaine Sun News, dont la seule fonction était de diffuser de la propagande pro-Harper 24h/24.
Ni de droite, ni de gauche?
Les personnes qui se disent de gauche et qui appuient ouvertement PKP ou se rallient docilement à son leadership nous démontrent à quel point le péquisme de gauche est un cul de sac politique. Au-delà de la faillite morale et de l’absence de tout sens de l’honneur ou de la moindre solidarité avec ceux et celles que PKP a écrasé sur son chemin vers la gloire, c’est le vide politique qu’un tel ralliement représente qui donne le vertige. Si on peut « faire le pays » avec un tel chef, de quel genre de pays parlons-nous?
Et par pitié, ne revenez pas avec « ni de droite, ni de gauche ». PKP et son empire, c’est la droite, point final. Et un nouveau pays (comme je le disais dans une vidéo électorale de QS en 2012) ce n’est pas une plage blanche. Les circonstances et la manière de sa fondation auront un impact majeur sur son avenir. Un pays construit « par en haut » par une petite clique autour d’un chef milliardaire n’aura pas le même genre d’institutions qu’un pays construit « par en bas » à travers une mobilisation populaire et un processus profondément démocratique.
Aussi, il y a des portes qui doivent être ouverte ou fermées dans la constitution elle-même. Est-ce qu’on reconnaîtra les droits sociaux et économiques comme le droit à l’éducation ou à un revenu minimal décent? Est-ce qu’on affirmera la liberté d’association et par extension le droit d’agir collectivement, par exemple en faisant la grève? Est-ce qu’on instaurera un régime présidentiel centralisé ou une république populaire pluraliste respectant l’autonomie des régions?
Et QS dans tout ça?
La tentation pour Québec solidaire dans cette situation serait de prendre la voie de la facilité, du « chemin de moindre résistance », et de se présenter aux péquistes déçus comme un meilleur PQ que le PQ, comme la réincarnation du mythique parti progressiste des années 1970. Ce serait une erreur monumentale et le prélude à une crise existentielle majeure pour le parti.
Premièrement, un tel parti n’a jamais existé. Ce n’est que parce que les mouvements sociaux étaient massivement mobilisés et inspirés par idées radicales que le PQ (comme le PLQ et même l’Union national avant lui) a été contrainte de mettre en place la dernière vague des réformes de la révolution tranquille.
Deuxièmement, le contexte économique mondial actuel ne permet pas de concilier des réformes sociales significatives avec les bonnes grâces des marchés financiers et des institutions internationales de régulation économique. La conversion des partis sociaux-démocrates à diverses versions du néolibéralisme est assez systématique à travers le monde pour qu’on reconnaisse qu’il ne s’agit pas d’une conspiration ou d’un problème de personnalités ou de volonté mais d’un phénomène structurel.
Le programme de Québec solidaire, derrière les formulations agréables de nos experts en communications, est un programme de rupture. L’indépendance du Québec, d’ailleurs, est la mère de toutes les autres ruptures qu’il annonce, que ce soit avec l’extractivisme, le néolibéralisme, l’impérialisme, le patriarcat, etc. C’est précisément à cause des dangers que pose une telle rupture institutionnelle avec l’État canadien que la direction du Parti québécois, de Lévesque à PKP et passant par tous les autres, a toujours cherché à négocier « une nouvelle entente », un compromis quelconque avec la classe dirigeante du Canada.
Pour Québec solidaire, il se sert à rien continuer à entretenir l’illusion d’une « grande famille souverainiste ». PKP et ceux et celles qui veulent le suivre ne vont pas du tout dans la même direction que nous. Nous voulons que le peuple se prenne en main, qu’il affirme son droit de décider quel genre de société nous allons bâtir, qu’il se tienne debout face à tous les dangers, réels ou imaginaires, qui se dresseront sur son chemin. Le PQ, comme toujours, a peur de faire peur au peuple et se veut surtout rassurant pour les possédants.
Ce dont nous avons besoin, d’abord, c’est d’unifier toutes les forces sociales opposées aux politiques d’austérité du régime Couillard. Avant de gagner contre l’État canadien et sa classe capitaliste, il faut d’abord gagner contre notre propre gouvernement, son autoritarisme et sa détermination à défendre les intérêts des plus riches. C’est à travers cette lutte, à condition d’y être pleinement engagé, que Québec solidaire pourra continuer à se développer et à croitre. Ce n’est pas un hasard si, après avoir longtemps plafonné autour 7000, c’est en 2012 que QS a atteint les 14 000 membres.
En même temps, il faut mettre de l’avant notre proposition d’assemblée constituante et inviter les indépendantistes à sortir une fois pour toutes du débat sans fin sur le moment ou la manière du prochain référendum, les conditions gagnantes, et autres mirages péquistes. Invitons-les à mener une campagne de terrain pour une véritable autodétermination collective. Le mouvement indépendantiste québécois est, qu’on le veuille ou non, à la croisée des chemins. À nous de jouer pleinement notre rôle en proposant un chemin qui peut mener à un nouveau pays dont nous pourrons être fiers.
« Ceux qui sont partis pour chercher une solution, qui ont promis un nouveau pays, un nouveau soleil à qui les suivront, jurent qu’ils seront des milliers, des millions … quand ils reviendront.», Vivre en ce pays, Pierre Calvé