Pour l’instant les médias accordent toute la victoire à GND

Pas si vite !

André Frappier - 11 juin 2024
14 juin 2024

Le 1er mai dernier, soit deux jours après l’annonce du départ d’Émilise Lessard-Therrien, Gabriel Nadeau-Dubois affirmait lors d’une sortie médiatique que Québec solidaire devait devenir un parti de gouvernement, faisant ainsi d’une pierre deux coup. Il fermait le débat concernant les causes de la démission d’Émilise en annonçant une perspective qui impliquait à mots couverts un recentrage des politiques du parti : « Afin de prendre le pouvoir, la formation devra toutefois changer des choses et faire des choix. Je pense que Québec solidaire est dû pour une refonte complète de son programme. Notre structure doit être plus efficace, moins lourde et plus simple ».

Mais ce n’est pas ce que les membres ont adopté comme position au Conseil national du 25 et 26 mai dernier. Le texte initial proposé se lisait comme suit : « Qu’en prévision de la campagne électorale de 2026, le parti s’engage dans un processus de modernisation de son programme, qui sera suivi par l’adoption de la plateforme électorale. Que la Commission politique, le Comité de coordination national et les commissions thématiques soient responsables de coordonner le processus d’élaboration d’un nouveau programme, pour adoption lors d’un Congrès spécial en 2025. »

Le texte amendé stipule maintenant : « Qu’en prévision de la campagne électorale de 2026, le parti s’engage dans un processus d’actualisation de son programme… Que la Commission politique, le Comité de coordination national et les commissions thématiques soient responsables de coordonner le processus d’actualisation du programme… »

Il faut ajouter que la proposition adoptée contenait également cette partie : « Que le programme soit exempt d’engagements politiques trop spécifiques ». Donc on a donné un mandat à la Commission politique, au Comité de coordination national et aux commissions thématiques d’actualiser le programme et non de le moderniser. On leur a retiré le mandat d’élaboration d’un nouveau programme, mais on a inclus qu’il soit exempt d’engagements politiques trop spécifiques.

On peut dire que cette dernière partie (politiques trop spécifiques) est disposée par la décision d’actualiser et de retirer le mandat d’élaborer un nouveau programme. Il est difficile de retirer les engagements trop spécifiques sans réécrire le programme. Il y a fort à parier que la direction de QS n’en tiendra pas compte.

Cette ambiguïté dans le vote indique que nous n’avons pas discuté du fond de la question, des raisons qui motivent réellement la stratégie de réécriture du programme, raisons qui auraient certainement éclairé le choix des personnes déléguées.

On sentait une pression comme si nous étions à la veille de prendre le pouvoir, qu’il fallait balayer tout ce qui pouvait nous empêcher de gagner un nouvel électorat. Au pas camarades, mais sans analyse politique ni plan stratégique. La déclaration de Saguenay représentait l’autre front de ce même objectif, modifier les positions historiques de QS. Ce rapport de la tournée des régions s’est ainsi transformé en déclaration politique. Le tout dans une ambiance où la pression était palpable.

Le dernier sondage Leger accorde une légère remontée à QS. A deux ans des élections on peut difficilement s’imaginer aux portes du pouvoir. Il souligne également une perte significative d’adhésion des jeunes à QS, alors que cela a toujours été notre force.

Ce recentrage que GND nous propose, qu’il qualifie de « souci d’efficacité » ou encore de « pragmatisme », exige des explications et une mise en situation. Quelle est la stratégie qui, dans ce contexte, nous amènera au gouvernement dans deux ans ? Jusqu’à maintenant nous n’avons eu droit à aucune analyse qui pourrait appuyer cette perspective.

Les débats soumis au Conseil National avaient, dans ce contexte de non-dit, un air surréel. On recentre sans l’avouer, pour être un parti de pouvoir, sans plan précis ni stratégie, ni analyse sérieuse de la situation politique, quels sont nos alliés, sur quelle base s’appuiera-t-on ? Tenant compte que l’appui des jeunes régresse.

La montée du PQ dans les sondages et même sa possible élection fait certainement partie de l’équation. Mais est-ce une raison d’édulcorer notre programme afin de plaire à cet électorat ? Auquel cas le réflexe est toujours d’adopter l’original et non la copie, sans parler des progressistes, des jeunes et des femmes qui ne s’y reconnaîtront plus. GND et la direction de QS le savent certainement.

Ce débat concerne en fait un plan stratégique et non des questions sémantiques d’écriture de texte. Une question essentielle se pose avec urgence, quel est le vrai plan ?

Le 1er mai 2009, Québec solidaire publiait un manifeste, « Pour sortir de la crise : dépasser le capitalisme ? ». Ce texte est un exemple de la façon dont on doit poser un débat. Une mise en contexte qui pose les origines et les effets de la crise sociale et économique, en fait une analyse et propose des issues. Cela a aussi l’avantage d’alimenter la réflexion politique, essentielle dans un parti de gauche qui revendique la justice sociale.

GND affirme que le Québec a changé et que Québec solidaire est dû pour une refonte complète de son programme. Ce manifeste publié il y a 15 ans, qui a inspiré plusieurs éléments de notre programme, faisait état de la crise. « La crise comme prétexte, c’est la crise, donc passons à l’exploration gazière dans le magnifique fleuve St-Laurent. C’est la crise ! Alors on ne peut pas combattre la pauvreté : l’État n’a plus d’argent ! Mais on en trouvera toujours pour renflouer des banques déjà milliardaires ; pour engraisser des papetières qui vont toujours plus loin raser nos forêts ; pour subventionner des minières qui pillent l’or et les métaux qui nous appartiennent ! »

Qu’est ce qui a changé ? Est-ce que la crise s’est estompée ? Non elle est pire, 100 fois pire.
S’il y a une chose essentielle ce n’est pas d’aseptiser mais d’actualiser notre programme et nos perspectives à cette réalité en osant poser les bonnes questions. Voici quelques exemples de questions que le manifeste soulevait :

« La crise actuelle est-elle causée simplement par les excès du système financier, par des fraudeurs et des financiers qui ont agi en bandits de grand chemin ? Cette crise reflète-t-elle des problèmes inhérents au système économique lui-même ? Ne devons-nous pas nous demander si ce système contient des éléments qui aggravent les inégalités sociales et la dégradation de l’environnement ? »

Une crise mondiale

Grande absente de cette discussion de « prise du pouvoir », la crise internationale économique, sociale et environnementale atteint maintenant des sommets inégalés.

Au moment où la situation politique se complexifie et que les pressions de la droite s’intensifient, nos réponses doivent être plus élaborées, nos débats et réflexions politiques plus profonds. La lutte que nous menons au Québec doit s’inscrire dans une perspective de solidarité internationale. Le pouvoir de changer la société c’est reprendre le contrôle de notre vie, de notre environnement et de notre économie. C’est reprendre le contrôle de notre territoire usurpé par les multinationales et les consortiums financiers.

Depuis le début du printemps, le Sud global est secoué par des événements climatiques extrêmes accentués par le phénomène météo El Niño. En Asie, ces catastrophes ont des conséquences sociales délétères, qui touchent en premier lieu les enfants et les femmes. Mardi 28 mai dernier, New Delhi, capitale de l’Inde, enregistrait une température record de 49,9 °C.

« Ce qui est vertigineux, c’est qu’on a désormais fréquemment en Asie des températures qui frôlent les 50 °C. En France, un pic de chaleur à 40 °C est devenu habituel, alors que c’était exceptionnel il y a une quarantaine d’années. Nous nous accoutumons à un climat qui est déjà à + 1,2 °C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, alors qu’on s’attend déjà à dépasser les + 1,5 °C dans dix ans, commente pour Mediapart Magali Reghezza-Zitt, géographe et maîtresse de conférences à l’École normale supérieure. [1]

Contre le cul de sac du pragmatisme, pour des perspectives de lutte

Quels que soient les cas de figure de l’orientation « pragmatique » proposée par la direction de QS, ils nous amènent inévitablement vers un cul de sac. Si les motifs du recentrage visent à séduire la base péquiste c’est une erreur magistrale, ils et elles n’ont pas besoin d’un 2e PQ. Au final, dans cet exercice de recentrage accéléré, sans débat de fond, nous perdrons en plus les outils fondamentaux qui font notre force et nous rassemblent, la politisation par le débat et le respect de la démocratie.

Rien n’est encore joué, les différents réseautages militants ont joué un rôle majeur au Conseil National et ont réussi à imposer un réel débat sur les enjeux. L’avenir de QS comme parti des urnes et de la rue réside dans ce militantisme en marche qui saura imposer un réel débat politique concernant les perspectives de luttes et de rassemblement contre cette société corrompue. C’est ce à quoi nous devons travailler maintenant !

Contre le pragmatisme qui nous mène à l’échec ! Pour des débats éclairants et pour la démocratie !

Épilogue

Dans son livre « Voyage au bout de la mine » Pierre Céré citait le commentaire suivant « François Legault est revenu dans la dernière semaine de campagne pour faire de cette élection une question référendaire sur la Fonderie Horne : si vous votez pour Émilise, vous votez pour fermer la Fonderie Horne. » [2]

Il concluait ce chapitre ainsi : « Est-ce que Québec solidaire s’est fait piéger par cette stratégie de la CAQ alliée aux élites économiques de Rouyn-Noranda ? Pouvait-il en être autrement ? Si nous portons un héritage, il ne faudrait pas oublier qu’il est aussi celui d’un combat qui s’inscrit dans le temps, et celui-ci se transmet. » [3]

Notes

[1] Mickaël Correia, Les habitants des pays du Sud subissent de plein fouet l’intensification du chaos climatique, Mediapart, 31 mai 2024

[2] Pierre Céré, Voyage au bout de la mine, p. 199)

[3] Pierre Céré, Voyage au bout de la mine, p. 200)