par Roger Rashi
Le cahier des propositions devant être débattues au prochain conseil national de Québec solidaire vient d’être publié par la direction du parti. Divisé en deux parties, une première intitulée « la déclaration de Saguenay « qui fait le bilan de la tournée des régions et un 2è bloc qui propose un échéancier pour la réécriture du programme de QS, ce document est d’une faiblesse politique abyssale.
La faiblesse première de ce Cahier de proposition est l’absence de toute analyse de l’évolution de la conjoncture politique québécoise et donc de réflexion critique sur la stratégie du parti. En fait, le postulat de base de ce document est que rien n’a changé au Québec depuis le lendemain des élections du 3 octobre 2022 et que la stratégie adoptée en novembre 2021, faite de recentrage politique du parti, de personnalisation autour du leader parlementaire Gabriel Nadeau-Dubois et de prétention à incarner l’alternative à François Legault, est toujours valide.
Reconfiguration politique majeure depuis un an
Or, la conjoncture québécoise et en voie de subir une transformation politique majeure alors que :
– Le parti gouvernemental, la Coalition avenir Québec, s’effondre dans les sondages et perd 44% de ses appuis. Le dernier Sondage Léger place ce parti au 2é rang avec seulement 22% [1]. Les observateurs parlent même de crise au sein de la majorité alors que des piliers du caucus démissionnent ou songent à le faire [2]. La « troisième voie » incarnée par François Legault, chef et fondateur de la CAQ, est en voie de s’effriter, peut-être, durablement.
– Le Parti québécois, presque moribond après les dernières élections alors qu’il avait enregistré les pires résultats de son histoire (14.5% et 3 députés), connait une remontée fulgurante atteignant 34% dans le dernier Léger, décrochant ainsi la première place avec une bonne longueur d’avance sur la CAQ. Son chef, Paul St-Pierre Plamondon, en profite pour annoncer qu’il fera de la souveraineté du Québec le thème principal de la prochaine campagne électorale.
– Incapable de profiter de la chute de la CAQ, Québec solidaire plafonne à 18%. Cantonné dans une bande étroite allant de 14 à 18% depuis sa percée historique de 2018, QS est loin de pouvoir prétendre, de façon crédible, à constituer l’alternative à la CAQ.
– Le Parti libéral du Québec au plus bas dans les sondages avec 14%, et sans chef depuis le lendemain des dernières élections, s’en donnera un le 14 juin 2025 ce qui devrait améliorer ses performances juste à temps pour le prochain scrutin général. Ce nouveau chef se fera un plaisir de s’ériger en rempart contre l’indépendance prônée par le PQ, reprenant le thème qui a fait la fortune politique de ce parti pendant plus d’un demi-siècle.
– La contestation des politiques économiques et sociales de la CAQ atteint un sommet avec le retour des larges mobilisations syndicales comme celle du dernier Front commun dans le secteur public qui a mobilisé près de 420,000 travailleuses et travailleurs, non seulement pour de meilleurs salaires mais aussi contre les politiques de privatisation dans les services publics. Nous voyons également la reprise des mouvements écologiques contre les politiques industrielles soi-disant vertes, mais en réalité écocidaires et anti- démocratiques, du gouvernement. De plus, le réseau communautaire mène une contestation vigoureuse des politiques bancales de la CAQ au niveau du logement.
La stratégie actuelle de QS est caduque
La stratégie actuelle de QS fut formulée dans une conjoncture totalement différente alors que la CAQ était très largement dominante, François Legault au sommet de sa popularité et les mouvements sociaux en pleine retraite à la suite des confinements pandémiques. Bien que trop timide politiquement et aboutissant ultimement à une stagnation électorale, elle reposait néanmoins sur une analyse de la conjoncture du moment bien qu’elle en tirait des conclusions erronées. Cette stratégie de recentrage est aujourd’hui caduque.
Pour répondre à la nouvelle conjoncture, QS doit changer de stratégie sous peine de frapper un mur aux élections de 2026. En s’obstinant à tenter d’occuper le centre du spectre politique, Québec solidaire émousse sa singularité et réduit son attractivité auprès de ceux et celles qui désirent un réel changement social. QS doit impérativement se redéfinir comme un parti de contestation sociale et de rupture avec le système capitaliste en proie à une polycrise de plus en plus grave [3]. C’est ce que le parti a déjà fait avec succès en 2018.
Souvenons-nous que lors de cette campagne, QS s’attaquait directement aux élites économiques et politiques qu’il tenait responsable de la montée des inégalités sociale et de la crise écologique. À cette occasion le parti a présenté un programme de transition verte, ambitieux et transformateur, qui fut au cœur de son succès [4]. Cette campagne de 2018, inspiré par le « populisme de gauche », a permis à QS de doubler ses appuis, passant de 7% en 2014 à 16% en 2018, et de grossir sa députation en passant de 3 à 10 sièges dont quatre en dehors de Montréal [5].
Comme quoi, il est faux d’affirmer que la radicalité de son programme nuit à QS. Au contraire, en assumant son identité de parti de gauche et de transformation sociale QS est sorti de la marginalité politique et a gagné des appuis majeurs parmi la jeunesse et les électeurs/ices des grandes villes.
À contrario, la dernière campagne électorale qui présentait un QS modéré mettant en sourdine la critique des élites et cachant les mesures radicales de son programme de transition écologique, s’est avérée un échec au vu des attentes (remporter l’opposition officielle) et des sommes engagées (plus de deux millions de dollars, soit un record dans l’histoire du parti).
Approfondir cette stratégie de recentrage, comme cherche à le faire la direction du parti avec le présent Conseil national, ne peut mener qu’à une déroute cinglante en 2026. QS risque de se faire prendre en souricière entre un PLQ ultra-fédéraliste l’attaquant sur sa droite et un PQ modérément social- démocrate l’attaquant sur une base nationaliste identitaire. L’un est l’autre chercheront à reprendre les circonscriptions ravies par Québec solidaire au fil des ans, soit cinq au PLQ et sept au PQ. Ce n’est pas avec une stratégie encore plus réformiste que le parti pourra se défendre sur ses deux fronts. QS n’aura d’autre choix que d’affirmer sa singularité de parti de rupture sociale et écologique et de lier intimement l’indépendance du Québec à son projet social. S’abstenir de le faire serait d’enfoncer QS dans un état de vulnérabilité politique extrême aux élections de 2026.
Un programme de rupture avec le système
Il ne s’agit pas de reproduire la stratégie électorale de 2018 mais plutôt d’en tirer les leçons pour aller de l’avant vers une vision transformatrice adaptée à l’évolution des mobilisations populaires et aux grands défis de notre époque.
Quels pourraient être les axes principaux d’une telle approche ?
– La fausse transition écologique promue par la CAQ décrédibilise les propositions du capitalisme vert auprès de larges couches de la population et ouvre la voie à une proposition de transition écologique antisystémique et démocratique qui va non seulement au-delà de l’ordre néolibéral mais aussi vers le dépassement du système capitaliste à la source de la crise environnementale. C’est l’occasion rêvée de commencer à populariser des notions d’écosocialisme démocratique et autogestionnaire auprès d’un vaste auditoire populaire et ouvrier.
– L’effondrement de la CAQ et de sa « troisième voie » prépare le retour de l ’axe fédéraliste/souverainiste qui a structuré l’espace politique québécois de 1970 à 2018. En opposition aux deux vieux partis (PQ et PLQ) qui se sont échangé le pouvoir pendant un demi-siècle, QS a développé une vision politique liant la question nationale et le projet de transformation sociale qui a fait sa renommée auprès de l’électorat progressiste. Cette vision doit être au centre de la stratégie du parti afin de marquer sa différence du fédéralisme à-plat-ventriste du PLQ ou de l’identitarisme étroit et xénophobe du PQ et de la CAQ. Plus que jamais, le projet d’une assemblée constituante est la clé de notre vison inclusive, féministe, rassembleuse et progressiste.
– Fort de son énorme majorité parlementaire, la CAQ a lancé au cours de son second mandat la campagne de privatisation la plus agressive jamais vue au Québec. Quel que soit le parti qui remportera les élections de 2026, il maintiendra ces politiques ou cherchera à les étendre car elles correspondent aux intérêts du patronat et de la classe dominante. La bataille pour la défense des services publics ainsi que l’extension du système énergétique public, le tout dans une optique écologique, décentralisée et démocratique, doit avoir une place de choix dans la stratégie du parti car elle sera au centre des luttes sociales des prochaines années.
– Le ralentissement économique et l’inflation qui frappent si durement les classes populaires ne disparaitront pas au courant des prochaines années. Les énormes profits qu’engrangent les grandes compagnies ou les richesses insondables qu’accaparent les multimilliardaires resteront le signe le plus visible de l’injustice du capitalisme contemporain. Un régime fiscal anti- grandes entreprises et anti-grande fortune via la taxation des profits excessifs des pétrolières, des grandes chaines alimentaires, des GAFAM, sans oublier les grandes fortunes, doit être au centre des propositions de QS car elles permettent aussi d’indiquer comment financer nos propositions de programmes sociaux et réduire les inégalités.
Combattre le parlementarisme
Une condition cruciale pour l’accomplissement d’un tel programme et la relance de Québec solidaire en tant que parti des urnes et de la rue. Au courant des dernières années, le poids de l’aile parlementaire, combiné à l’effet nocif de l’arrêt des activités pendant les premiers mois de la pandémie, ont fait que le parti a été réduit, dans les faits, à une caisse enregistreuse des décisions prises par le caucus. De plus en plus, les campagnes sont annoncées par l’aile parlementaire sans discussions préalables dans le parti, les lieux de débats stratégiques sont asséchés avec conséquence que les militants et militantes délaissent les associations locales et régionales. Un indice particulièrement inquiétant et la démission, ou l’abandon pur et simple du militantisme, par beaucoup de femmes. Ragaillardie un moment par la course et la subséquente élection de la porte-parole féminine, l’enthousiasme initial s’estompe à mesure que la mécanique infernale de la pression médiatique sur « sur la bulle parlementaire », des jeux de coulisses et de pouvoir au sein du caucus, de la persistance des comportements patriarcaux, le tout si magistralement disséqués et exposés par Catherine Dorion dans son livre les « Têtes brulées », finit par tout emporter sur son passage [6].
Pour repartir la structure militante, il faudra raviver les lieux de débats démocratiques, tenir des instances nationales (conseils nationaux et congrès) où sont débattues les analyses de la conjoncture ainsi que la stratégie du parti et transformer les associations locales et régionales en véritables lieux de convergence des résistances populaires, les lieux où peuvent s’articuler les synthèses et les revendications communes des mouvements sociaux.