9 mai 2021 - Cycle de formation (hiver - été 2021)

5. Quelle intervention des socialistes dans le mouvement syndical ? (Vidéo)

Le cours visera à répondre principalement à trois questions:a. Pourquoi le mouvement syndical est-il important pour les socialistes; b. Pourquoi la classe ouvrière est-elle centrale dans la lutte contre le capitalisme et pour le socialisme? c. Pourquoi et comment organiser la minorité militante dans le mouvement syndical ?

Lectures

“L’aristocratie ouvrière» et les luttes de la classe ouvrière: la conscience en flux, 2è partie.

Charles Post [Ceci est la deuxième partie de deux d’un essai sur «Le mythe de l’aristocratie ouvrière».

La première section est apparue dans notre précédent numéro (Against The Current 123)]

QUELS QUE SOIENT LES problèmes théoriques et empiriques de l’économie de la thèse de l’aristocratie ouvrière, ses défenseurs et défenderesses affirment toujours que les travailleurs et travailleuses bien payé.e.s ont généralement été plus réformistes et conservateurs dans leur politique que les travailleurs moins bien payés. Ils citent l’exemple des ouvriers du bâtiment de New York (Hardhats, d’après les casques de protections pour les chantiers de construction, ndlr), pour la plupart blancs, qui ont attaqué des manifestant.e.s anti-guerre au printemps 1970; et comparez-les au militantisme et à la politique progressiste de certaines des récentes campagnes “Justice for Janitors” («Justice pour les concierges»).

Un examen plus systématique de l’histoire des luttes ouvrières dans le Nord global au cours du siècle dernier ne confirme cependant pas l’affirmation selon laquelle les travailleurs et travailleuses bien payé.e.s sont généralement réformistes ou conservateurs.trices, tandis que les travailleurs et travailleuses mal payé.e.s sont plus révolutionnaires ou radicales, radicaux. Le contre-exemple le plus important est la classe ouvrière russe au début du XXe siècle. L’épine dorsale des bolcheviks de Lénine (ce dont il était parfaitement conscient) étaient les ouvrier.e.s industriels les mieux payé.e.s des villes russes – des machinistes qualifié.e.s dans les plus grandes usines. Les travailleurs les moins bien payés, tels que les travailleuses à prédominance féminine, du textile, étaient généralement non organisés ou apolitiques (jusqu’aux débuts de la révolution) ou soutenaient les mencheviks réformistes. (1)

En fait, la masse de base de l’aile gauche anti-guerre des partis socialistes d’avant la Première Guerre mondiale et des partis communistes révolutionnaires d’après-guerre était des travailleurs.euses relativement bien payé.e.s dans les grandes industries de la métallurgie. Ces travailleurs.euses ont mené des luttes militantes contre l’accélération et la déqualification qui sont devenues des luttes politiques contre la conscription et la guerre. Le communisme allemand est devenu un mouvement de masse lorsque des dizaines de milliers de métallurgistes bien payés ont quitté les socialistes indépendants et ont rejoint les communistes en 1921. Les communistes français et italiens sont également devenus des partis de masse grâce au recrutement de milliers de machinistes qui ont dirigé les grèves de masse de l’après-guerre. période. Ces travailleurs hautement rémunérés étaient également surreprésentés dans les petits partis communistes des États-Unis et de Grande-Bretagne. (2)

Bien payé.e.s, bien que généralement déqualifiés, les travailleurs.euses de l’industrie à grande échelle ont continué à jouer un rôle de premier plan dans les poussées de masse tout au long du 20e siècle. Pendant la montée du CIO (ndlr: Congress of Industrial Organizations) dans les années 1930, des travailleurs.euses relativement bien payé.e.s dans les industries de l’automobile, de l’acier, du caoutchouc et d’autres industries de production de masse aux États-Unis, souvent avec des travailleurs industriels qualifiés en tête, ont été le fer de lance de la création de syndicats industriels qui unissent qualifiés et non qualifiés, hautement rémunérés et mal payés. Les travailleurs bien payés et qualifiés étaient, encore une fois, surreprésentés dans les organisations radicales et révolutionnaires aux États-Unis au cours des années 1930 (3). Des travailleurs.euses bien payé.e.s étaient également à l’avant-garde des luttes de masse proto-révolutionnaires en France (1968), en Italie (1968-69), en Grande-Bretagne (1967-75) et au Portugal (1974-75).

Les travailleurs.euses relativement «aristocratiques» du camionnage, de l’automobile, des télécommunications, de l’enseignement public et des services postaux ont été au centre des grèves non officielles et sauvages qui ont secoué l’industrie américaine entre 1965 et 1975. En France, en 1995, des travailleurs.euses bien payé.e.s des télécommunications, des transports publics, des postes, des soins de santé et de l’éducation ont mené les grèves du secteur public qui ont monté les premières luttes ouvrières réussies contre le néolibéralisme. À l’automne 2004, les travailleurs.euses de l’automobile, parmi les mieux payé.e.s d’Allemagne, ont résisté aux licenciements, défiant leurs propres dirigeant.e.s syndicaux dans une grève non officielle. Dans la classe ouvrière américaine au cours de la dernière décennie, les travailleurs .euses relativement mal payé.e.s (concierges, employés d’hôtels et d’épicerie) se sont engagé.e.s beaucoup plus fréquemment dans des actions de grève que les travailleurs.euses relativement bien payés. Cependant, des travailleurs.euses mieux payé.e.s – des travailleurs.euses d’UPS (United Parcel Service) en 1997 aux travailleurs.euses du transport en commun de New York en 2005 – n’ont pas été absent.e.s des luttes militantes sur le lieu de travail.

Ce modèle de militantisme et de radicalisme parmi les travailleurs.euses relativement bien payé.e.s n’est pas non plus limité au Nord global. Au Chili entre 1970 et 1973, et en Argentine entre 1971 et 1974, les mineurs de cuivre et les métallurgistes se sont engagé.e.s dans des luttes industrielles et ont pris la tête des mobilisations de masse contre les militaires et la droite. Au Brésil, ce sont les métallurgistes bien payé.e.s de la banlieue «ABC» de San Paolo* qui ont mené des grèves de masse dans les années 1970 qui ont créé la CUT (United Workers Confederation) et finalement le PT (Parti des travailleurs.euses) au début des années 1980. De même, les travailleurs.euses noir.e.s les mieux payé.e.s d’Afrique du Sud – dans les mines, l’automobile, la sidérurgie – dont les luttes dans les années 1970 ont créé la fédération syndicale radicale et militante FOSATU. La FOSATU et son successeur COSATU (Congress of South African Trade Unions) ont pu s’appuyer sur l’organisation et le pouvoir du lieu de travail dans la lutte politique contre l’apartheid dans les années 1980 et 1990.

Il n’est pas surprenant que des travailleurs.euses relativement bien payé.e.s aient été au centre des luttes ouvrières les plus militantes et les plus radicales du siècle dernier. Ces travailleurs.euses ont tendance à être concentré.e.s dans de grands lieux de travail à forte intensité de capital qui sont souvent au coeur de l’économie capitaliste. Ces travailleurs.euses ont un pouvoir social considérable lorsqu’ils agissent collectivement. Les grèves dans ces industries ont un impact beaucoup plus important sur l’économie que les travailleurs.euses des lieux de travail plus petits et moins capitalistiques (vêtements, nettoyage de bureaux, etc.) Les travailleurs des industries à forte intensité de capital sont aussi souvent les premières cibles de la restructuration capitaliste en période de baisse des bénéfices et de concurrence aiguisée.

Expliquer le réformisme de la classe ouvrière (4)

Comment expliquer le fait que la plupart des travailleurs.euses, la plupart du temps, n’agissent pas sur leur pouvoir potentiel? Pourquoi les travailleurs.euses adoptent-iels la politique réformiste – soutien au syndicalisme bureaucratique (recours à la procédure de règlement des griefs, négociation collective de routine) et à la politique électorale du parti démocrate états-unien – ou pire, à la politique réactionnaire sous les formes de racisme, de sexisme, d’homophobie, de nativisme, de militarisme?

La clé pour comprendre le réformisme (et le conservatisme) de la classe ouvrière est la nature nécessairement épisodique de la lutte et de l’organisation de la classe ouvrière. La condition nécessaire au développement de la conscience de classe est l’auto-activité et l’autoorganisation des travailleurs.euses eux-mêmes. L’expérience des luttes de masse, collectives et réussies contre le capital et son état sur le lieu de travail et dans la communauté est ce qui ouvre des couches de travailleurs.euses aux idées politiques radicales et révolutionnaires. (5) La classe ouvrière ne peut pas être, dans son ensemble, active en permanence dans la lutte de classe. La classe ouvrière tout entière ne peut pas s’engager systématiquement dans des grèves, des manifestations et d’autres formes d’activité politique parce que cette classe est séparée de la possession effective des moyens de production et que ses membres sont obligé.e.s de vendre leur force de travail au capital pour survivre. Ils et elles doivent aller travailler! En termes simples, la plupart des travailleurs.euses, la plupart du temps, sont engagé.e.s dans la lutte individuelle pour vendre leur capacité de travailler et assurer la reproduction d’eux et d’elles-mêmes (progéniture) et de leur famille – et non la lutte collective contre les employeur.e.s et l’État. La classe ouvrière «réellement existante» ne peut s’engager dans des luttes de masse en tant que classe que dans des situations extraordinaires, révolutionnaires ou pré-révolutionnaires.

En raison de la position structurelle du travail salarié sous le capitalisme, ceux-ci doivent être de courte durée. Le plus souvent, différents segments de la classe ouvrière deviennent actifs dans la lutte contre le capital à des moments différents. À la suite de luttes de masse réussies, seule une minorité de travailleurs.euses reste constamment active. La plupart de cette avant-garde ouvrière – celles qui «même pendant une accalmie dans la lutte… n’abandonnent pas les lignes de front de la lutte de classe mais continuent la guerre, pour ainsi dire, « par d’autres moyens »» (6) – tente de préserver et transmettre les traditions de lutte de masse sur le lieu de travail ou dans la communauté. Cependant, un secteur au sein de cette minorité active, ainsi que des intellectuel.le.s qui ont accès à des compétences culturelles dont la majeure partie de la classe ouvrière est exclue, doivent assumer la responsabilité d’administrer les syndicats ou les partis politiques créés par des poussées périodiques d’activité de masse. Cette couche de permanent.e.s à plein temps – la bureaucratie du mouvement ouvrier – est le fondement social de la pratique et de l’idéologie réformistes «inconditionnelles» dans le mouvement ouvrier.

Les travailleurs.euses qui deviennent fonctionnaires des syndicats et des partis politiques commencent à vivre des conditions de vie très différentes de celles et ceux qui restent sur le lieu de travail. Les nouveaux et nouvelles fonctionnaires se trouvent libéré.e.s des humiliations quotidiennes du processus de travail capitaliste. Ils et elles ne sont plus soumis.es ni au travail déqualifié et aliéné ni au petit despotisme des superviseur.es. Capables de fixer leurs propres horaires, de planifier et de diriger leurs propres activités et de consacrer l’essentiel de leurs heures de veille à «se battre pour les travailleurs», les fonctionnaires cherchent à consolider ces privilèges. Au fur et à mesure que les syndicats gagnent leur place dans la société capitaliste, les responsables syndicales.aux renforcent leur rôle de négociateurs.trices de la subordination des travailleurs.euses au capital dans le processus de travail. Pour défendre leur position sociale, la bureaucratie ouvrière exclut les militant.e.s de base des syndicats et des partis de tout pouvoir décisionnel réel. (7)

La consolidation de la bureaucratie ouvrière en tant que couche sociale, distincte du reste de la classe ouvrière sous le capitalisme, donne lieu à sa pratique politique et à sa vision du monde distinctes. La préservation de l’appareil syndical de masse ou du parti, en tant que fin en soi, devient l’objectif principal de la bureaucratie ouvrière. Les bureaucrates ouvrier.e.s cherchent à contenir le militantisme de la classe ouvrière dans des limites qui ne menacent pas l’existence continue des institutions qui sont à la base du style de vie unique des fonctionnaires. Ainsi, ce qu’Ernest Mandel a appelé la «dialectique des conquêtes partielles», la possibilité que de nouvelles luttes soient vaincues et les organisations de masse de la classe ouvrière Révolution écosocialiste – 5e formation 5/3/2021 01_aristocratie_ouvriere.pdf 4/11 affaiblies, renforcent la dépendance de la bureaucratie ouvrière sur les campagnes électorales et les tactiques de pression parlementaire (lobbying) pour gagner des réformes politiques. et sur la négociation collective strictement réglementée pour augmenter les salaires et améliorer les conditions de travail. L’intérêt de la bureaucratie ouvrière dans des relations de négociation stables avec les employeur.e.s et leur crédibilité aux yeux des capitalistes en tant que négociateurs.trices renforcent encore leur idéologie et leur pratique conservatrices. Du point de vue de la bureaucratie, toute tentative de promouvoir l’auto-activité et l’organisation militantes parmi les travailleurs.euses doit être annulée.

À ce stade, le fétichisme organisationnel de la bureaucratie (donnant la priorité à la survie de l’appareil sur les nouvelles avancées de la lutte) produit une vision du monde qui exige l’obéissance inconditionnelle des travailleurs.euses aux dirigeant.e.s qui prétendent savoir «ce qui est le mieux pour les travailleurs.euses. « Alors que l’engagement idéologique inconditionnel en faveur du réformisme découle de manière organique de la position sociale privilégiée de la bureaucratie du travail, comment expliquer le réformisme conditionnel de la plupart des travailleurs.euses? Pourquoi la plupart des travailleurs.euses acceptent-iels le réformisme? En clair, pourquoi ce réformisme conditionnel est-il l’état normal de la conscience de la classe ouvrière sous le capitalisme? En «temps normal» – de calme et de passivité de la classe ouvrière – la majorité des travailleurs.euses en viennent à accepter les «règles du jeu» de la concurrence capitaliste et de la rentabilité. Ils et elles recherchent une «juste part» des produits de l’accumulation capitaliste, mais ne se sentent pas capables de défier le pouvoir capitaliste sur le lieu de travail, dans la rue ou dans la société. Pour la plupart des travailleurs.euses en «temps normal», la lutte de masse et militante semble irréaliste; ils ont tendance à accepter la substitution par les fonctionnaires du travail de la politique électorale libérale et réformiste, de la négociation collective institutionnalisée et du traitement des plaintes. Cependant, l’emprise continue du réformisme sur la majorité des travailleurs.euses exige des fonctionnaires du travail de tenir leurs promesses sous la forme d’une amélioration des salaires, des horaires et des conditions de travail.

Comme le souligne Bob Brenner: «Avec ne serait-ce qu’un minimum d’organisation de la classe ouvrière, le réformisme a tendance à être largement attrayant dans les périodes de prospérité précisément parce que dans de telles périodes, la menace d’une résistance limitée de la classe ouvrière – symbolisée par la résolution de grève ou une victoire aux urnes – peut en fait céder des concessions du capital. Étant donné que l’exécution des commandes et l’expansion de la production sont leurs principales priorités dans le boom, les capitalistes auront tendance à trouver dans leur intérêt de maintenir et d’augmenter la production, même si cela signifie des concessions aux travailleurs.euses, si l’alternative est de subir une grève ou d’autres formes de dislocation sociale. »(8) Lorsque le capitalisme entre dans l’une de ses inévitables périodes de crise et de restructuration – comme celle qui a commencé à la fin des années 1960 dans la majeure partie du monde capitaliste – le paradoxe du réformisme devient manifeste.

Dans un monde de profits en baisse et de concurrence accrue, les capitalistes du monde entier sont passé.e.s à l’offensive sur le lieu de travail et au niveau de l’État capitaliste. La restructuration de la production capitaliste sur le modèle de la production optimisée et la déréglementation néolibérale des marchés du capital et du travail (9) ont nécessité une guerre totale contre les travailleurs.euses et leurs organisations dans le monde capitaliste. À ce stade, le réformisme devient inefficace. Les travailleurs peuvent, et ont fait des gains, contre leurs employeurs au cours des quinze dernières années – le succès de la grève d’UPS et des campagnes «Justice for Janitors» dans diverses villes ne peut être ignoré. Cependant, ces victoires ont souvent exigé une organisation et une mobilisation de fond de la base, y compris des organisations indépendantes, comme les Teamsters pour une Union démocratique (TDU).

En fait, la bureaucratie réformiste des syndicats et des partis sociaux-démocrates a adopté la realpolitik – s’adaptant à la nouvelle «réalité» des conditions de vie et de travail en déclin. Comme l’a souligné Mandel: «L’ hypothèse sous-jacente du gradualisme social-démocrate actuel est précisément la suivante: laissons les capitalistes produire les biens, afin que les gouvernements puissent les redistribuer de manière juste. Mais que se passe-t-il si la production capitaliste exige une distribution plus inégale et plus injuste des «fruits de la croissance»? Et s’il n’y avait aucune croissance économique du fait de la crise capitaliste? Les gradualistes ne peuvent alors que répéter mécaniquement: il n’y a pas d’alternative; il n’y a pas d’issue. »(10) Fuyant le militantisme et l’action directe des travailleurs.euses et d’autres personnes opprimées, la bureaucratie ouvrière et les politiciens réformistes occidentaux n’ont d’autre choix que de faire des concessions à l’offensive des employeur.e.s et d’administrer l’austérité de l’État capitaliste. Le spectacle des bureaucrates réformistes évitant la lutte pour les réformes s’est répété dans le monde capitaliste au cours des trois dernières décennies, avec des résultats tragiques. Encore et encore, les bureaucrates réformistes ont cédé aux exigences de la rentabilité capitaliste.

Le parti communiste italien a adopté l’austérité dans les années 1970. Les responsables américain.e.s de l’AFL-CIO ont accepté la négociation de concessions depuis 1979, généralement sans même prétendre à la lutte. Les régimes sociaux-démocrates à travers l’Europe (Mitterrand et Jospin en France, Blair en Grande-Bretagne, Schroeder en Allemagne) ont adopté le réalisme néolibéral – coupant les services sociaux, privatisant les entreprises publiques et déréglementant les marchés des capitaux et du travail. La retraite réformiste ne s’est pas non plus limitée aux pays impérialistes. Au début des années 1990, le gouvernement dirigé par l’ANC-COSATU en Afrique du Sud post-apartheid a adopté ce que certains ont appelé le «sado-monétarisme» du FMI et de la Banque mondiale. La débâcle du régime Lula au Brésil – attaquer les droits des travailleurs.euses, ouvrir l’économie agricole à l’investissement transnational et se retirer systématiquement de sa promesse de réforme populaire – correspond trop bien au modèle. Aujourd’hui, même les formes les plus modérées de gradualisme social-démocrate sont devenues utopiques, car la bureaucratie ouvrière du monde entier a été incapable de défendre les acquis du passé des travailleurs.euses et encore moins de remporter de nouvelles réformes importantes à une époque de crise et de restructuration.

Pourquoi le conservatisme de la classe ouvrière? (11)

L’incapacité du réformisme à tenir ses promesses envers la plupart des travailleurs.euses nous aide également à comprendre l’attrait de la politique de droite – raciste, sexiste, homophobe, nativiste et militariste – pour un segment de travailleurs.euses. La position objective et structurelle des travailleurs.euses sous le capitalisme fournit la base d’un radicalisme de classe collectif et d’une politique individualiste, sectoraliste et réactionnaire. Bob Brenner et Johanna Brenner soulignent que «les travailleurs.euses ne sont pas seulement des producteurs.trices collectifs ayant un intérêt commun à prendre le contrôle collectif de la production sociale. Ce sont aussi des vendeurs.euses individuel.le.s de force de travail en conflit les uns avec les autres sur des emplois, des promotions, etc. » Comme l’a dit Kim Moody, le capitalisme rapproche et éloigne les membres de la classe ouvrière. En tant que vendeurs.euses concurrent.e.s de force de travail, les travailleurs.euses sont ouvert.e.s à l’attrait de la politique qui les oppose à d’autres travailleurs.euses – en particulier aux travailleurs.euses dans une position sociale plus faible:

Il semble possible pour les sections les plus fortes de la classe ouvrière de défendre leurs positions en s’organisant sur la base de liens déjà existants contre des sections plus faibles et moins organisées. Elles peuvent profiter de leur position d’Américain.e.s plutôt que contre les étranger.ères, de Blancs et Blanches contre les Noir.e.s, d’hommes plutôt que de femmes, d’employé.e.s contre les chômeurs, etc. Ce faisant, les travailleurs.euses peuvent agir initialement uniquement en fonction de ce qu’iels perçoivent comme étant leur intérêt personnel le plus immédiat.. Mais avec le temps, iels ressentent inévitablement la pression de donner un sens à ces actions et iels adoptent des idées qui peuvent rendre leurs actions raisonnables et cohérentes. Ces idées sont, bien entendu, les idées de la droite. (12)

L’étude récente de Bruce Nelson sur les métallurgistes détaille comment des travailleurs.euses relativement blanc.he.s de l’industrie sidérurgique ont eu du mal à défendre leur accès privilégié à un travail mieux rémunéré et relativement plus qualifié après l’instauration du syndicalisme industriel. La montée en puissance du CIO a ouvert la possibilité d’une organisation à l’échelle de la classe qui a commencé à réduire la segmentation raciale / nationale de la classe ouvrière. Alors que l’offensive du CIO a connu son apogée à la fin des années 1930 et que les syndicats industriels se sont bureaucratisés pendant la seconde guerre mondiale, les travailleurs.euses blanc.he.s se sont mobilisé.e.s de plus en plus pour défendre leur accès privilégié à l’emploi (et avec lui au logement, à l’éducation de leurs enfants, etc. ) contre les travailleurs.euses de couleur. Dans les industries de l’acier, les travailleurs.euses blanc.he.s ont défendu de manière militante l’ancienneté départementale dans les promotions et les licenciements contre les revendications des travailleurs.euses noir.es.s et latinos pour l’ancienneté à l’échelle de l’usine et l’action positive dans les promotions dans les années 1960 et 1970. (13)

En tant que marxistes, nous comprenons que de telles stratégies sont contre-productives à moyen et long terme. Les divisions parmi les travailleurs.euses et la dépendance à l’égard de différents segments de la classe capitaliste ne font que saper la capacité des travailleurs.euses à défendre ou à améliorer leurs conditions de vie sous le capitalisme. (14) Cependant, lorsque le réformisme se révèle incapable de défendre de manière réaliste les intérêts des travailleurs.euses – comme il l’a fait depuis le début des années 1970 – les travailleurs.euses adoptent les perspectives individualistes et sectorielles comme la seule stratégie réaliste. C’est particulièrement le cas en l’absence d’une minorité militante substantielle et influente dans la classe ouvrière qui peut organiser la résistance collective au capital indépendamment et souvent en opposition aux responsables du travail réformistes. (15) Conclusion Kim Moody a souligné que le «bon sens» de la classe ouvrière au quotidien n’est pas «une idéologie capitaliste cohérente» mais plutôt: «une collection contradictoire d’idées anciennes qui sont transmises ou apprises par l’expérience quotidienne, et d’autres encore générées par les médias capitalistes, le système éducatif, la religion, etc. Il ne s’agit pas simplement de l’idée populaire d’une nation tranquillisée par la télévision et les week-ends au centre commercial. Le « bon sens » est à la fois plus profond et plus contradictoire car il incarne aussi des expériences qui vont à contre-courant de l’idéologie capitaliste. (16)

Ce n’est que par l’expérience de l’activité collective de classe contre les employeur.e.s, à partir du lieu de travail, mais sans s’y limiter, que les travailleurs.euses peuvent commencer à se considérer comme une classe ayant des intérêts communs avec les autres travailleurs.euses et opposés aux capitalistes. Les travailleurs.euses qui font l’expérience de leur pouvoir de classe collectif au travail sont beaucoup plus ouvert.e.s aux modes de pensée de classe – et aussi antiracistes, antisexistes, antimilitaristes, antinativistes. Comme Marx l’a souligné, c’est à travers les luttes sur le lieu de travail et les syndicats que la classe ouvrière «devient apte à gouverner» – développe l’organisation et la conscience capables d’affronter le capital. Une telle organisation exigera une lutte non seulement contre les idées réactionnaires du milieu ouvrier, mais contre la bureaucratie syndicale et d’autres organisations populaires de masse qui se sont engagées dans des stratégies réformistes, même si elles sont manifestement inefficaces.

L’auto-organisation et l’auto-activité des travailleurs.euses dans les luttes sur le lieu de travail sont le point de départ pour créer les conditions matérielles et idéologiques d’un défi efficace au réformisme et au conservatisme de la classe ouvrière. De toute évidence, la lutte militante dans les entreprises n’est pas une condition suffisante pour le développement d’une conscience radicale et révolutionnaire parmi les travailleurs.euses. Luttes dans les communautés ouvrières autour du logement, de la protection sociale, des transports et d’autres problèmes; et luttes politiques contre le racisme et la guerre sont des éléments cruciaux dans l’auto-transformation politique de la classe ouvrière. Cependant, des luttes victorieuses dans les entreprises sont la condition nécessaire au développement de la conscience de classe. Sans l’expérience de telles luttes, les travailleurs.euses continueront d’accepter passivement la politique réformiste ou, pire, d’embrasser des politiques réactionnaires.

Cela ne signifie pas que les travailleurs.euses de couleur, les femmes et les autres groupes opprimés de la classe ouvrière doivent «attendre» pour se battre jusqu’à ce que les travailleurs blancs et masculins soient prêts à agir. Les travailleurs blancs et masculins, en raison des avantages temporaires mais réels qu’ils obtiennent sur le marché du travail – un accès préférentiel à de meilleurs emplois – ne sont pas susceptibles de lancer des luttes contre le racisme, le sexisme ou l’homophobie sur le lieu de travail ou ailleurs. L’autoorganisation et l’auto-activité des groupes racisés opprimés sont essentielles au développement des luttes antiracistes et de la conscience antiraciste. Cependant, un public ouvrier de masse ouvert à des idées antiracistes, antisexistes et antimilitaristes sera plus probablement créé dans un contexte de luttes de masse, de classe contre le capital. Aujourd’hui, le public principal ouvert à l’idée selon laquelle les travailleurs .euses doivent s’opposer aux idées et aux pratiques de droite est la petite couche de militant.e.s de la base qui essaient de promouvoir la solidarité, le militantisme et la démocratie dans le mouvement ouvrier. Ce n’est que si ces militant.e.s, appuyé.e.s par des socialistes du mouvement ouvrier, arrivent à mobiliser une riposte collective efficace que ces idées – la politique du radicalisme de classe – atteindront une résonance de masse. *région traditionnellement industrielle de l’État de São Paulo : Santo André (A), São Bernardo do Campo (B) et São Caetano do Sul (C) (ndlr)

Notes

1) David Mandel, The Petrograd Workers, Volumes I and II (London: Macmillan, 1985).
(2) Chris Harmon, The Lost Revolution, Germany 1918 to 1923 (London: Bookmarks, 1982); Mark Hudson, “Rank-and-File Metalworker Militancy in France and Britain, 1890-1918,” New Politics 9, 3 (New Series) (Summer 2003) [www.wpunj.edu/~newpol/issue35/Hudson35.htm]
(3) Mike Davis, “The Barren Marriage of Labor and the Democratic Party” in Prisoners of the American Dream (London: Verso Books, 1986), Chapter 2.
(4) Ma théorie alternative du réformisme et du conservatisme de la classe ouvrière est tirée de Mandel, «Qu’est-ce que la bureaucratie?» et Robert Brenner, «Le paradoxe du réformisme: le cas américain», dans M. Davis, F. Pfeil, M. Sprinker (éd.) The Year Left: An American Socialist Yearbook (Londres: Verso, 1985); Robert Brenner, «Le problème du réformisme», contre le courant (nouvelle série) 43 (mars-avril 1993). – Charles Post
(5) De toute évidence, des luttes économiques et politiques réussies sous le capitalisme peuvent également encourager le développement d’une conscience «militante réformiste» parmi de nombreux travailleurs. Une combinaison d’auto-activité réussie et d’organisation, qui permet aux travailleurs de faire l’expérience de leur pouvoir collectif; et l’expérience des limites des luttes qui acceptent la domination économique et politique capitaliste sont nécessaires pour le développement de la conscience révolutionnaire parmi une minorité de travailleurs. – Charles Post
(6) Ernest Mandel, “The Leninist Theory of Organization: Its Relevance for Today” in S. Bloom (ed.), Revolutionary Marxist and Social Reality in the 20th Century: Collected Essays of Ernest Mandel (Atlantic Highlands, NJ: Humanities Press International, Inc. 1994), 85.
(7) Le processus de bureaucratisation des syndicats et des partis politiques de la classe ouvrière, et le développement du réformisme qui en résulte, se poursuit dans toutes les sociétés capitalistes où le mouvement ouvrier atteint la reconnaissance juridique et la stabilité institutionnelle. En termes simples, le réformisme ne se limite pas aux classes ouvrières du Nord global. Ainsi, il n’est pas surprenant qu’en période de déclin de la lutte de masse, les syndicats industriels de masse et les partis politiques des classes ouvrières brésiliennes (CUT et PT) et sud-africaines (COSATU) se soient bureaucratisés et que leurs dirigeants se soient politique libérale. – Charles Post
(8) Brenner, “The Paradox of Social Democracy,” 42.
(9) C. Post and J. Slaughter, Lean Production: Why Work Is Worse Than Ever, And What’s The Alternative? (Solidarity Working Paper, 2000); C. Post, “The Economic Impact of the War and Occupation of Iraq,” Against the Current (New Series) 104 (May-June 2003)
(10) Mandel, Power and Money: A Marxist Theory of Bureaucracy (London: Verso, 1992), 236.
(11) Je tiens à souligner ma dette à l’essai séminal par Johanna Brenner et Robert Brenner, « Reagan, le droit et la classe ouvrière, » Against the Current (Old Series) 1, 2 (hiver 1981). – Charles Post
(12) Brenner and Brenner, “Reagan, the Right and the Working Class, 30.
(13) B. Nelson, Divided We Stand: American Workers and the Struggle for Black Equality (Princeton, NJ: Princeton University Press, 2001), Part Two. (14) Michael Reich’s Racial Inequality: A Political-Economic Analysis (Princeton: Princeton University Press, 1981) présente des preuves substantielles qu’une classe ouvrière divisée est moins capable de se défendre contre le capital. Il constate que les régions des États-Unis qui présentaient la plus grande inégalité raciale des salaires (un indice de la division raciale de la classe ouvrière), avaient également les salaires moyens les plus bas (un indice de la faiblesse de la classe ouvrière par rapport au capital). – Charles Post (15) C. Post and K.A. Wainer, Socialist Organization Today (Solidarity Pamphlet, 1996). (16) The Rank And File Strategy: Building A Socialist Movement In The US (Solidarity Working Paper, 2000)
Traduction française de lucie mayer

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Sous le capitalisme, les dés sont toujours pipés contre la syndicalisation dans des entreprises comme Amazon

par Michael A. McCarthy.

Traduction par Hassoun Karam, sur une proposition de Xavier Lafrance, de « Under Capitalism, the Deck is Always Stacked Against Unionizing at Companies Like Amazon », publié le 9 avril 2021 sur https://jacobinmag.com/2021/04/alabama-amazon-union-drive-results. ***

L’échec de la campagne de syndicalisation chez Amazon en Alabama est un rappel brutal d’un fait fondamental de la vie sous le capitalisme : il est toujours plus facile pour les patrons de détruire un effort de syndicalisation naissant que pour les travailleuses et travailleurs de se rassembler et de se battre pour leurs propres intérêts. Un vote syndical semble simple et direct : ou bien les travailleuses et travailleurs appuient un syndicat ou elles et ils ne le font pas. Dans la mesure où des travailleuses et travailleurs ne sont pas certain·e·s de leur choix, les influencer est une question de qui s’organise le mieux : l’employeur ou le syndicat. De ce point de vue, les élections syndicales sembleraient justes. Mais l’échec de la campagne de syndicalisation du RWDSU1 dans un entrepôt d’Amazon à Bessemer, en Alabama, souligne à quel point cela n’est pas exact.

En réalité, les travailleuses et travailleurs et les employeurs sont confrontés à des défis très différents lorsqu’il s’agit de s’organiser pour leurs intérêts et, pour ce faire, ils sont confrontés à ce que Claus Offe et Helmut Wiesenthal ont appelé deux logiques différentes de l’action collective. Qu’il s’agisse d’un vote syndical, d’une grève ou de toute autre forme d’auto-organisation de la classe ouvrière, la capacité des travailleuses et travailleurs à riposter dépend de leur aptitude à maintenir leur solidarité réciproque. Pour les employeurs, une telle solidarité n’est pas requise. La solidarité est incroyablement difficile à réaliser et à maintenir pour les travailleurs; mais pas pour les patrons. Et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, les entreprises se renforcent en se développant. Elles peuvent fusionner et prendre de plus grandes parts de marché par accumulation. Cet aspect additif de la taille des entreprises leur donne un accès croissant aux ressources financières, source principale de leur pouvoir. En particulier, et quelle que soit la taille des entreprises, elles se comportent comme une seule unité ; c’est le cas d’Amazon. En revanche, les travailleuses et travailleurs ne deviennent pas intrinsèquement plus forts en ajoutant simplement plus de personnes à un lieu de travail ou dans une industrie donnée.

Les obstacles à leur union pour combattre le patron restent aussi difficiles à surmonter, quel que soit le changement de leur nombre car les travailleuses et travailleurs interagissent principalement avec leur patron en qu’individus, avec beaucoup moins de pouvoir individuel que celui de ce dernier. La manière dont les travailleuses et travailleurs s’organisent passe par l’intermédiaire d’un syndicat ou d’un autre type d’association. Elles et ils sont d’abord organisé·e·s par une entreprise, leur employeur, qui les rassemble en fonction de ses propres intérêts et objectifs. Les syndicats sont confrontés à la tâche difficile de les réorganiser en tant que travailleuses et travailleurs ayant des intérêts distincts de ceux de la direction de cette entreprise. Autrement dit, et contrairement au pouvoir syndical, le pouvoir patronal ne nécessite pas une organisation nouvelle et distincte. Deuxièmement, la conception de l’intérêt d’une entreprise est simplement définie : c’est le profit. Les entreprises qui n’accordent pas la priorité aux profits ne survivent pas longtemps sur des marchés concurrentiels. À l’inverse, toute la vie d’une travailleuse est liée à sa situation d’emploi, de sorte qu’elle possède un large éventail d’intérêts liés à ce rôle. Et parce que toute la complexité d’une vie humaine ne peut être séparée de la force de travail que les travailleuses et travailleurs vendent à leur patron, les priorités d’une travailleuse, à un moment donné, peuvent diverger largement des priorités d’une autre.

Dans ces conditions, il est plus simple et plus facile pour les capitalistes que pour les travailleuses et travailleurs d’articuler et de poursuivre leurs intérêts. En tant qu’organisation, Amazon pourrait confronter le syndicat d’une manière unilatérale et hiérarchique, avec un objectif unique et facile à identifier : vaincre le syndicat. Les gestionnaires n’ont qu’à le communiquer aux travailleuses et travailleurs. Le syndicat, de son côté, devait d’abord contribuer à créer un sentiment d’intérêt partagé par les travailleuses et travailleurs, et opposé à l’entreprise, afin de les convaincre de la nécessité d’un syndicat.

Ceci est beaucoup plus difficile, car il implique une communication et une interaction entre le syndicat et les travailleuses et travailleurs pour développer une vision commune, même avec un mécontentement important à l’égard de la direction. Il n’y a aucune garantie que cette communication et cette organisation fonctionneront; ce qui n’arrive pas souvent d’ailleurs, car les travailleuses et travailleurs veulent autre chose et ne sont pas toujours convaincu·e·s que la représentation syndicale est le meilleur moyen de l’obtenir (surtout après que la personne contrôlant leur capacité à payer les factures, leur patron, ait constamment répété qu’un syndicat nuirait en fait à leur capacité de l’obtenir).

Troisièmement, le pouvoir des travailleuses et travailleurs et leur volonté d’agir collectivement dépendent fondamentalement de leur participation à la construction de la solidarité. Elles et ils doivent s’engager dans des pratiques d’organisation qui peuvent s’accompagner de sanctions (au moins, la défaveur des gestionnaires, au plus, la perte de leur emploi). Les travailleuses et travailleurs doivent également croire qu’elles et ils seraient mieux lotis avec une organisation collective à laquelle leur direction s’oppose. Mais ces solidarités sont difficiles à créer.

Quatrièmement, la transformation des intérêts des travailleuses et travailleurs pour qu’elles et ils se sentent réciproquement solidaires et uni·e·s face à leur employeur, dépend de la création d’une identité collective partagée. Ce qui est bien difficile, car elles et ils sont organisé·e·s par l’entreprise en tant qu’unités de travail distinctes. Et la conception des lieux de travail, en particulier chez Amazon, s’efforce constamment de saper cette identité en réduisant les interactions interpersonnelles et en maintenant les personnes atomisées et hautement concentrées sur leurs tâches.

Tout cela pose un défi incroyable. Il est tentant de pointer les échecs de leadership ou les faux pas tactiques comme la seule source des échecs organisationnels. Mais en fin de compte, l’organisation des travailleuses et travailleurs est tout simplement incroyablement difficile sous le capitalisme, même avec le comité d’organisation le plus doué sur le plan tactique. Bien que Karl Marx ait souligné la concentration et l’interdépendance entre les travailleuses et travailleurs des premières usines comme un ingrédient clé de la lutte de classe, un autre facteur crucial est la création d’un sens de communauté, qui implique un sentiment de solidarité. Celle-ci n’apparaît pas évidente, comme par magie, pour les travailleuses et travailleurs. Elle doit être cultivée dans le temps et elle est le résultat d’un soutien réciproque lors des situations difficiles. Elle nécessite un leadership et une organisation qui peuvent persister après des revers. Le vote chez Amazon est un revers pour le mouvement large de reconstruction du pouvoir, de la communauté et de la solidarité de la classe ouvrière. Mais ce n’est pas la fin de son combat.

Notes

1 Retail, Wholesale and Department Store Union [Syndicat de la vente au détail, de la vente en gros et des grands magasins, ndlt]. sous_capitalisme.odt 1/3 Révolution écosicaliste – Formation 9 mai 2021 – Sous le capitalisme 2 mai 2021
À propos de l’auteur Michael A. McCarthy est professeur agrégé de sociologie à l’Université Marquette et auteur de Dismantling Solidarity : Capitalist Politics and American Pensions Since the New Deal.

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Quelle est la stratégie de la base militante et pourquoi est-elle importante?

Par Barry Eidlin; « What is the Rank-and-File Strategy, and Why Does It Matter? » tiré du site de Jacobin Magazine .traduction par Hassoun Karam; révision par Isabelle Caron 11 octobre 2019

Le 26 mars 2019.

Nous ne pouvons pas gagner sans que les socialistes ripostent. Pour ce faire, la stratégie de la base militante nous donne les outils. La résurgence récente du Socialisme a ravivé les débats fondamentaux concernant les politiques et les stratégies socialistes : que veulent les socialistes, et comment l’obtenir? Que ce soit pour comprendre le rapport des socialistes aux politiques électorales, comment et dans quelle mesure les socialistes doivent revendiquer des réformes de l’État, comment les socialistes doivent s’impliquer dans les grands mouvements sociaux, ou simplement ce que signifie d’être socialiste, aujourd’hui toutes ces questions revêtent une plus grande urgence, simplement parce que l’importance de ce que font les socialistes est beaucoup plus grande. Ces débats chargés d’histoire rendent difficile, pour les néophytes, le discernement des enjeux et désaccords actuels. C’est certainement le cas quand il s’agit de discuter de ce qu’on appelle « la stratégie de la base militante » [rank-and-file strategy], une expression qui a réussi récemment à se faire connaître. Cela est dû à une brochure publiée, à la fin de 2018, par les Young Democratic Socialists of America (YDSA) et intitulée « Pourquoi les socialistes doivent devenir des enseignant·e·s ».

La brochure soutient simplement (en manchette rouge, néanmoins) « que les socialistes doivent occuper des emplois comme enseignant·e·s (et dans d’autres secteurs scolaires) à cause du potentiel politique, économique et social du secteur de l’éducation. » Fox News et d’autres médias conservateurs ont interprété la publication ou le contenu de cette brochure comme preuve que les socialistes sont en train de comploter pour noyauter les écoles publiques et endoctriner les jeunes de l’Amérique. Mais au-delà des manchettes alarmistes dans les médias de droite, la brochure a ravivé une vieille discussion de la gauche concernant les orientations stratégiques dans les lieux de travail et envers la classe ouvrière et le mouvement ouvrier. L’acception courante de la stratégie de la base militante est reprise par l’argument fondamental de cette brochure, c’est-à-dire qu’on invite les socialistes à s’organiser pour chercher des emplois dans des secteurs stratégiques et importants pour la construction du pouvoir de la classe ouvrière. Une conséquence possible de cet argument serait que les socialistes devraient se méfier de devenir partie prenante de la bureaucratie syndicale en aspirant aux postes des directions syndicales ou à ceux de cadres.

Occuper des emplois au bas de l’échelle peut certainement faire partie de la stratégie de la base militante. L’adoption d’une évaluation critique des possibilités et des limites des postes élus dans les directions et les cadres des syndicats pourrait également découler de cette stratégie. Mais ces actions décrivent des décisions tactiques visant un objectif stratégique, dans un contexte donné. Elles ne sont la stratégie proprement dite. Pour comprendre ce qu’est la stratégie de la base militante et pourquoi elle est si importante, il faut prendre un pas de recul, par rapport à ces décisions tactiques, et se concentrer sur son intégration dans une vision stratégique pour bâtir le Socialisme.

1 Définition

La stratégie de la base militante est : 1) une évaluation des défis fondamentaux actuels auxquels font face les socialistes et 2) un cadre stratégique pour aborder ces défis. Au fond, c’est un effort pour appréhender la question centrale que se posent les socialistes militant dans des périodes nonrévolutionnaires : comment faire naître une société socialiste? Pour les marxistes, la réponse réside dans la classe ouvrière, la seule classe qui a le pouvoir de renverser le capitalisme et transformer la société. Mais s’il y a une chose que les socialistes ont apprise des 150 dernières années, c’est que la « classe ouvrière » en tant qu’acteur cohérent capable de provoquer un changement révolutionnaire, n’est pas une entité qui est déjà là. Plutôt, c’est quelque chose qui doit être créé. Donc la question devient alors : comment constituer la classe ouvrière en tant qu’agent révolutionnaire et comment la préparer à gouverner? Étant des organisations dont la finalité est d’organiser les travailleuses et les travailleurs, selon ce statut, dans les endroits où elles et ils ont le plus de pouvoir possible – le lieu de travail – les syndicats doivent, presque par définition, jouer un rôle clé dans ce processus. Toutefois, les syndicats sont aussi un moyen limité pour transformer la classe ouvrière en un agent révolutionnaire. C’est parce que leur propre existence soutient et renforce la société de la classe capitaliste. Comme organisations qui négocient principalement les salaires, les avantages et les conditions de travail avec les employeurs, les syndicats existent seulement dans ce rapport avec les capitalistes. Ce qui les rend, presque par définition, des institutions réformistes, conçues pour atténuer et gérer la relation au travail, et non pour la transformer. Tout de même, si quelque chose identifiable comme « la classe ouvrière » doit se développer en une force capable de faire naître une société socialiste, les syndicats devraient participer à ce processus. La classe ouvrière pourrait développer la conscience et les habiletés nécessaires pour la transformation de la société seulement dans la lutte active contre la classe capitaliste, et le lieu de travail est l’endroit le plus direct et évident pour cette lutte. Sans syndicats, les travailleuses et les travailleurs sont isolé·e·s et faibles, et davantage vulnérables face à la division selon les catégories de race, genre, religion, région, statuts d’immigration, etc. Dans le processus de développement des capacités nécessaires aux luttes futures, les syndicats fournissent aux travailleuses et aux travailleurs une plateforme pour lancer la lutte de classe d’une façon coordonnée et soutenue. C’est pour ça que des socialistes passent leur temps à réfléchir et à oeuvrer au renforcement des syndicats.

2 La minorité militante

Alors la question devient : pour les socialistes, quelle serait la meilleure façon pour renforcer les syndicats? Les partisans de la stratégie de la base militante soutiennent que le point central devrait être l’identification et le développement d’une direction issue de la couche travailleuse, c’est-à-dire enracinée dans son lieu de travail, qui aurait pour tâche l’organisation quotidienne de ce dernier. Cette organisation joue un rôle crucial dans la création du sentiment d’appartenance à quelque chose de plus grand – pas seulement à un syndicat, mais plutôt à une classe ouvrière – qui est capable de se battre, de gagner et ultimement de gouverner. Cette couche, parfois appelée « la minorité militante », n’est pas explicitement les personnes les plus revendicatrices, les plus radicales au travail. Elle n’est pas entièrement constituée non plus de socialistes autoproclamé·e·s et engagé·e·s. Elle est plutôt composée de leaders de secteurs [shop-floor leaders], impliqué·e·s et respecté·e·s, de personnes reconnues comme des sources fiables d’information et de conseil et qui sont capables de mobiliser leurs pairs. Les socialistes ont joué des rôles clés dans la croissance et l’organisation, et parfois dans l’animation, des minorités militantes, mais toujours en tant que partie d’une coalition plus large. Cette focalisation stratégique sur la construction d’une minorité militante provient d’une analyse historique de quand et comment les travailleuses et travailleurs ont gagné dans le passé. Bien qu’elle soit loin d’être une garantie de la victoire, la forte organisation du lieu de travail a été une composante essentielle des victoires passées, notamment dans les années 1930, mais plus généralement au cours des 150 dernières années. Ce n’est pas un hasard si l’analyse détaillée de ces victoires historiques montre que, dans presque tous les cas, l’organisation du lieu de travail a été menée par des socialistes de diverses obédiences. C’étaient les personnes les plus inflexibles et les plus dédiées, et celles qui ont activement bâti la culture de solidarité dans les syndicats – le précurseur nécessaire à la formation de la classe ouvrière comme acteur historique. Jusqu’aux années 1940, la relation entre syndicats, socialistes et minorité militante oscillait entre flux et reflux, mais restait passablement organique. C’était parce que les socialistes ne voulait pas être lié·e·s simplement à la classe ouvrière; elles et ils en faisaient partie intégrante. En fait, et jusqu’à cette époque, tout mouvement de gauche aux États-Unis était massivement enraciné dans la classe ouvrière. D’une manière concrète, ceci signifiait qu’il y avait une couche présente de socialistes, ainsi que d’autres organisateurs et organisatrices, enracinée dans le lieu de travail, prête à jouer, en cas de besoin, le rôle d’une minorité militante.

3 Coupure du lien entre le mouvement ouvrier et la gauche

Cela a changé après la Seconde Guerre mondiale. Aux États-Unis, la combinaison de l’incorporation de la direction du mouvement ouvrier dans le New Deal à partir des années 1930, amplifiée par le McCarthyisme des années 1940 et 1950, a coupé le lien historique entre ce mouvement et la gauche. La plupart des socialistes et des communistes a été expulsée des principales fédérations syndicales et, en leur absence, la vaste couche qui a constitué la minorité militante a été, elle aussi, largement anéantie. Sans la minorité militante, les syndicats étatsuniens sont devenus beaucoup plus bureaucratisés et conservateurs. Quand la base militante s’emporta dans les années 1960, elle demeura généralement déconcentrée et échoua à obtenir des gains à long terme. Quand des syndicats combatifs se sont développés, comme dans certaines parties récemment organisées du secteur public, ils ont été régulièrement bloqués par les factions conservatrices les plus dominantes du mouvement ouvrier. Entre-temps, une Nouvelle Gauche [New Left] étudiante, de plus en plus frustrée, était en train de se radicaliser dans les années 1960 et 1970, et était davantage consciente de la nécessité de s’allier à un plus grand acteur historique : la classe ouvrière. Toutefois, et contrairement aux générations socialistes précédentes, celle-ci a été la première à ne pas être organiquement enracinée dans la classe ouvrière. Ces personnes étaient les premières à devoir se poser la question de comment les socialistes devraient établir des liens avec la classe ouvrière en tant qu’entité qui leur est externe. Donc, la question principale à laquelle ont fait face les socialistes est devenue : comment les socialistes doivent rebâtir au mieux le lien entre le mouvement ouvrier et la Gauche? Pour plusieurs dans ce que l’on pourrait désigner vaguement par la tradition « post-trotskiste », comme les International Socialists (IS) et plus tard Solidarity, la réponse fut de se concentrer sur la reconstruction de la minorité militante manquante, cette large couche de direction présente sur les lieux de travail et enracinée dans la classe ouvrière. On a compris cela comme un projet à long terme, ayant pour objectif la réparation des décennies de dommages historiques causés au lien entre le mouvement ouvrier et la gauche. Ceci fut à l’origine de ce que nous désignons aujourd’hui par stratégie de la base militante. Les partisans et partisanes de cette stratégie diffèrent d’autres directions, notamment celle des organisations précurseures des Democratic Socialists of America (DSA), qui a voulu renforcer le lien entre mouvement ouvrier et gauche par une recherche d’alliances avec des éléments plus progressistes de la bureaucratie syndicale plutôt que de bâtir des organisations sur les lieux de travail ou des directions enracinées dans la base. De plus, ces partisans et partisanes diffèrent des autres socialistes, particulièrement ceux et celles qui sont affilié·e·s au New Communist Movement tel que présenté par Max Elbaum dans Revolution in the Air, et qui ont considéré, en grande partie, le lieu de travail comme un endroit pour l’implication des cadres socialistes dans la propagande pour une révolution qu’on a crue imminente.

4 Une approche différente

En fait, la stratégie de la base militante a façonné les actions de membres de l’IS de plusieurs manières. L’aspect le plus familier est ce que l’on désigne par le « virage industriel » [turn to industry], par lequel les socialistes, qui se sont radicalisé·e·s à l’université, ont occupé des emplois de base dans des industries « cruciales » stratégiquement identifiées, comme celles de l’automobile, de l’acier, du transport et (dans une certaine mesure) de l’éducation publique. Bien qu’ils et elles ne fussent pas les seul·e·s socialistes à faire ainsi, la stratégie de la base militante soulignait le choix d’une approche bien différente concernant l’organisation de leurs lieux de travail. strategie_base_militante.odt 4/7 Rank and File Strategy – Traduction par Hassoun Karam; révision par Isabelle Caron 11 octobre 2019 Puisque l’objectif global était d’identifier et d’élargir la couche des directions des lieux de travail qui pourrait bâtir un puissant mouvement ouvrier, l’organisation a commencé à partir des problèmes de la réalité quotidienne de la lutte de classe, auxquels faisaient face les travailleuses et travailleurs. L’idée était de former les travailleurs et travailleuses à la lutte et à agir collectivement afin de résoudre leurs problèmes. C’était un premier pas nécessaire pour les rendre plus conscient·e·s de ce qui est possible – et de ce dont elles et ils sont capables. Encore une fois, ceci est différent de l’approche des autres groupes qui ont pris le « virage industriel » et qui se sont plutôt concentrés sur la propagande explicite des idées socialistes sur les lieux de travail, avec l’objectif de recruter des membres pour leur organisation. La stratégie de la base militante ne concernait pas les gens les plus revendicateurs ni les plus en colère du syndicat. Elle voulait bâtir une couche de militant·e·s de confiance enraciné·e·s dans leurs lieux de travail. Souvent, des personnes radicales et « industrialisées » ont formé ou rejoint les caucus de base dans leurs syndicats, dont les plus connus sont les Teamsters for a Democratic Union (TDU). Ces efforts visaient à élargir les luttes locales en reliant les directions militantes et les activistes dans le même syndicat, avec comme objectif d’y fédérer la couche de la « minorité militante ».

Bien sûr, cette tentative initiale de « virage industriel » s’engouffra la tête première dans les réalités de la récession de l’ère Reagan au début des années 1980, qui décima les emplois dans beaucoup d’industries de base. Plusieurs radicaux ont perdu leur emploi, la grande majorité des caucus de la base s’est effondrée (à l’exception notable de la TDU) et l’ensemble du mouvement ouvrier adopta une position bien plus défensive. Tout de même, plusieurs des petites victoires de ce mouvement acquises au cours des années suivantes, portent les marques d’une organisation façonnée par cette stratégie de la base militante. Un autre aspect de cette stratégie était la création de Labor Notes [LN], à la fois comme magazine et projet d’organisation. Encore une fois, l’idée n’était pas de faire de l’agitation pour les demandes explicitement socialistes, mais d’aider à bâtir la minorité militante capable de construire un pouvoir sur les lieux de travail. Elle [Labor Notes] diffusait des nouvelles sur les luttes locales des bases du mouvement ouvrier, à la fois aux États-Unis et à l’étranger, en plus de mettre en relation les minorités militantes de différents lieux de travail et syndicats par des conférences et des ateliers.

De plus, leurs livres [de Labor Notes], largement lus, sur la lutte contre les concessions et sur l’élaboration du « concept d’équipe » ont fourni une assise théorique pour contrer les stratégies dominantes dans le mouvement ouvrier lesquelles contribuaient à son déclin. 40 an après, Labor Notes est plus forte que jamais, et fournit un lien vivant à l’organisation de la base telle qu’elle était dans les années 1970. Plus important encore, LN constitue un forum pour l’identification et l’expansion de la minorité militante d’aujourd’hui. Au-delà des résultats mitigés du « virage industriel » des années 1970 et du succès restreint mais significatif de Labor Notes, la stratégie de la base syndicale façonne une approche complète pour la construction du Socialisme. C’est une approche qui s’articule autour de la classe ouvrière existante, dans toute sa complexité et sa diversité. strategie_base_militante.odt 5/7 Rank and File Strategy – Traduction par Hassoun Karam; révision par Isabelle Caron 11 octobre 2019 C’est une approche qui cherche à façonner la classe ouvrière en une force capable de lutte et de gagner des transformations sociales profondes. C’est une approche qui veut faire cela, sans une agitation à l’extérieur des organisations de la classe ouvrière, ni d’identification d’allié·e·s favorables dans les directions politiques et syndicales. Elle veut plutôt le faire en identifiant et élargissant une « minorité militante », une couche de direction, enracinée dans les lieux de travail, qui peut bâtir la capacité collective des travailleuses et travailleurs en tant que classe.

5 La stratégie de la base militante aujourd’hui

Aujourd’hui, que signifie cela pour l’organisation des socialistes? Bien sûr, dans des secteurs et des industries où il y a des opportunités stratégiquement importantes, et des individus disponibles et motivés, ils et elles doivent être encouragé·e·s à occuper des emplois de base dans ces secteurs et ces industries. Nous avons avons déjà vu les bénéfices d’une telle approche avec la vague des grèves des enseignant·e·s de l’année passée [aux États-Unis], dans laquelle les socialistes de la base ouvrière ont joué des rôles centraux. Mais il est aussi important de reconnaître que, les efforts coordonnés pour encourager plus de socialistes à occuper des types spécifiques d’emplois, n’est pas la même chose que de bâtir la minorité militante. Cela peut faire partie du processus de construction, mais ultimement l’objectif doit être l’élargissement des rangs des militant·e·s et des socialistes de la base ouvrière, et pas simplement de redéployer les personnes présentes. En outre, une stratégie de la base militante exige une fine compréhension de la relation entre les membres des syndicats, leurs directions et leurs cadres, et le rôle des socialistes dans chacun de ces secteurs. Il est vrai que les directions syndicales et leurs employé·e·s sont souvent nerveuses quand il s’agit d’encourager l’organisation indépendante du lieu de travail en dehors de leur contrôle direct. Quelques uns considèrent cela comme la formation d’une future opposition interne. Mais même pour les directions et employé·e·s de syndicats qui seraient moins égocentriques, cette organisation risque de miner leur capacité à « livrer » leur part du marché avec le patronat, comme s’ils ne pourraient plus être sûrs que leurs membres les suivraient dans ce qu’ils négocient. De plus, les représentant·e·s élus et les employé·e·s ont un intérêt matériel dans la survie du syndicat comme une institution. Ceci pourrait les mener à se détourner des luttes militantes qui pourraient augmenter les pouvoirs des travailleuses et travailleurs, mais au risque de mettre en danger l’existence à long terme du syndicat. Pensons à une grève illégale qui pourrait infliger à l’employeur des dépenses punitives, mais au dépend de l’exposition du syndicat à des injonctions et possiblement ses membres et représentant·e·s à des amendes et même à l’incarcération. À cause de ces contraintes structurelles qui pèsent sur leur militantisme, les socialistes qui préconisent la stratégie de la base militante critiquent souvent le rôle joué (ou son absence) des directions syndicales et de leurs employé·e·s dans la construction de la capacité de lutte de la classe ouvrière. Et bien qu’une stratégie qui se concentre principalement sur l’identification et le développement d’une direction syndicale progressiste soit erronée, ceci ne signifie pas que les employé·e·s syndicaux et la direction n’ont pas un rôle à jouer dans la stratégie de la base militante.

Au contraire, il y a des exemples historiques et contemporains de syndicats où les employé·e·s et la direction cherchent à bâtir une forte organisation dans le lieu de travail (trop peu, mais ils existent). Comme toujours, la question centrale à poser est si la direction syndicale et les employé·e·s syndicaux aident ou entravent le développement d’une minorité militante à l’intérieur du syndicat. Mais la stratégie de la base militante va plus loin que les questions de qui occupe quel emploi et où, ou comment établir un lien avec les employé·e·s syndicaux et la direction. C’est une théorie sur comment bâtir le pouvoir pour changer la société dans l’intérêt de la vaste majorité. Cela signifie que c’est une orientation stratégique qui doit traverser tous les aspects de l’organisation socialiste. Et en décidant des priorités, la question centrale doit être « Est-ce que ceci aide à bâtir une capacité autonome de lutte de la classe ouvrière? ».

Ceci est important quand on discute du travail dans les syndicats. Mais il va plus loin que ça, puisque la classe ouvrière s’étend bien au delà des lieux de travail syndiqués. Historiquement, les minorités militantes de la base ouvrière et les organisations socialistes ont joué des rôles clés dans la mise en relation des luttes de travail à celles plus large de la collectivité. Nous pouvons penser à comment les communistes [aux États-Unis], dans les années 1930, ont lié les droits du travail aux droits civils et à la lutte contre Jim Crow, ou plus récemment, comment les caucus de réforme dans les syndicats des enseignant·e·s de Chicago et de Los Angeles ont mis en relation des questions de salaires et de taille des classes (d’enseignement) à des problèmes de la collectivité comme les examens standardisés [scolaires] et le profilage racial. Il ne peut y avoir un socialisme sans une classe ouvrière qui lutte pour lui. Après des décennies de démobilisation et de défaites, la classe ouvrière des États-Unis a besoin de bâtir sa capacité de lutte. Une stratégie de la base militante ne règlera pas, à elle seule, ce problème, mais elle est une composante nécessaire de la solution.

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Augmentations salariales paramétriques[1] dans les secteurs public et parapublic et inflation (Indice des prix à la consommation [IPC]) de 2003 à aujourd’hui

De quel biais au juste est atteint le gouvernement du Québec face à ses salariéEs syndiquéEs ?

Un attaché politique d’un ex-ministre qui a été directement impliqué dans une des quatre dernières rondes de négociations dans les secteurs public et parapublic nous a appris ce qui suit (et nous citons intégralement le contenu du courriel qu’il nous a acheminé) : « Je vous informe cependant que le cadre financier à moyen terme prévoit une augmentation de la rémunération globale se chiffrant à 2 % par année. Il est impératif que les négociations s’effectuent à l’intérieur de ce cadre. »

Retour en arrière : Hausses de salaires et inflation de 2003 à 2020
La ronde de 2003 à 2005

Le contrat de travail des employéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic arrivait à échéance le 30 juin 2003. Le gouvernement de Jean Charest offrait 12,6 % sur « 6 ans » (de mars 2004 à mars 2010), incluant le coût de la facture de l’équité salariale. Après deux années de négociations interminables, le 14 décembre 2005, le premier ministre Jean Charest annonçait la convocation, pour le lendemain, de l’Assemblée nationale afin de faire adopter une loi spéciale imposant par décret les conditions de travail et de rémunération des 536 100 employéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic. C’est dans le cadre de l’adoption de l’inique projet de loi 142 que les conventions collectives sont « renouvelées » autoritairement jusqu’au 31 mars 2010. Les salaires sont augmentés de 2 % par année pour les années allant de mars 2006 à mars 2010 inclusivement. Rien n’est prévu pour les six derniers mois de 2003, les années 2004, 2005 et les 3 premiers mois de 2006. Rien, c’est-à-dire 0% d’augmentation salariale pour les employéEs syndiquéEs des services publics pendant une longue traversée du désert qui dure et perdure durant 33 mois. EmployéEs que le gouvernement décrit comme des « privilégiés ». « Privilégiés », vraiment ? Cette ronde de négociation (une ronde de « négociation simulée » du côté du gouvernement) se conclut par l’adoption d’un décret-loi qui prévoit un modeste 8% d’augmentation salariale paramétrique pour une période non pas de 6 ans, mais bien plutôt de 6 ans et neuf mois (de juin 2003 à mars 2010). Un « contrat de travail » d’une telle longueur de temps constitue un véritable précédent dans les secteurs public et parapublic. Il s’agit même d’un contrat qui va largement audelà de la durée prévue par la loi (trois ans). Dans une entrevue que Jean Charest accordait à Antoine Robitaille du quotidien Le Devoir on peut lire ceci : « Fier de la non-négociation » « M. Charest se dit « fier » de la nouvelle « approche » de non-négociation conçue par son gouvernement, celle du « cadre financier » inamovible. C’est à son sens « une approche basée sur la franchise » en ce qui a trait à l’état des finances publiques. Il a avoué hier qu’il n’avait jamais été question de déroger à ce cadre, « établi dès le départ », en juin 2004, puisqu’il s’agissait de la véritable « capacité de payer » des Québécois[2]. »

 

Nous devons reconnaître que Jean Charest n’a pas eu peur de confier au journaliste Antoine Robitaille, avec une Mardi 20 avril 2021 / DE : YVAN PERRIER (_YVAN-PERRIER_) Augmentations salariales paramétriques[1] dans les secteurs public et parapublic. Pour l’essentiel elle correspondait à ceci : prédéterminer à l’avance (en juin 2004) la modeste hausse salariale et la très longue durée de la « convention collective »[3], même si le tout était contraire au cadre juridique de la négociation. L’auteur des présentes lignes a communiqué en 2005 avec un membre du personnel du cabinet du premier ministre pour connaître la raison d’un contrat de travail d’une telle durée qui présente, à l’évidence même, un caractère contraire à la loi ? La réponse a été directe, précise et absolument déroutante : « Une négociation dans les secteurs public et parapublic ça prend beaucoup de temps et nous avons d’autres priorités pour le Québec ». Jean Charest a réussi, lors de la ronde de négociation de 2003 à 2005, à transformer le régime légal de négociation des rapports collectifs de travail en authentique régime de négociation factice (ou en régime de négociation de façade, si vous préférez). Pour ce qui est des augmentations paramétriques (8% pour 6 ans et 9 mois), elles étaient, comme nous le verrons plus loin, largement inférieures à l’inflation. La ronde de 2010 L’entente intervenue le 25 juin 2010 entre d’un côté les dirigeants syndicaux de l’époque (Michel Arsenault de la FTQ, Claudette Carbonneau de la CSN et Réjean Parent de la CSQ) et de l’autre la présidente du Conseil du trésor Monique Tremblay et le premier ministre Jean Charest, comportait les paramètres suivants : une augmentation salariale fixe de 6 % sur 5 ans et des ajustements salariaux additionnels de 4,5 % (1 % pour tenir compte de l’inflation et un éventuel 3,5 % si l’économie du Québec progressait de plus de 17 %, de 2010 à 2013 inclusivement). Dans les faits, les hausses paramétriques de salaire n’auront été que de 7,5 % de mars 2010 à mars 2015.

La ronde de 2014-2015

C’est en décembre 2014 que le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, soumet aux négociatrices et négociateurs syndicaux une révoltante proposition salariale : 3% d’augmentation pour un contrat de travail de 5 ans (0% pour 2015 ; 1% pour 2016 ; 1% pour 2017 ; 1% pour 2018 et 0% pour 2019). Sous prétexte que le déficit était un « gouffre » (jamais réellement démontré), le premier ministre libéral, Philippe Couillard, a réussi le tour de force suivant : il est parvenu à convaincre les porte-parole syndicaux que les salariéEs syndiquéEs n’obtiendraient pas plus que 5.25% d’augmentation salariale pour la période allant de mars 2015 à mars 2020 (0% en 2015, 1,5% en 2016, 1,75 en 2017, 2% en 2018 et 0% en 2019). Une précision s’impose pour l’année 2019, une majoration de 2,5% de la structure salariale globale a été convenue.

Augmentations paramétriques et Inflation (ou Indice des prix à la consommation [IPC]) de 2003 à 2020

Les augmentations salariales paramétriques ont donc été, de juin 2003 à mars 2020, de l’ordre de 20,75% (8%+ 7,5% + 5,25% = 20,75%) +2,5% de majoration de la structure salariale convenue en 2019 entre les parties. Pour ce qui est de l’inflation, pour les années allant de 2004 à 2020, elle s’élève à 26,1%. Il faut par ailleurs ajouter, à ce pourcentage de 26,1%, l’Indice des prix à la consommation enregistré pour les six derniers mois de 2003 (de juillet à décembre inclusivement) et celui des trois premiers mois de 2021[4] (de janvier à mars)[5]. La « régression » de l’enveloppe salariale des syndiquées des secteurs public et parapublic de 2003 à aujourd’hui Rappelons que de 2003 à aujourd’hui, la part des « dépenses (sic) de programmes » consacrée à la rémunération des syndiquéEs des secteurs public et parapublic est passée de 46,1% à 42%. Concrètement, même en incluant le coût de l’équité salariale et de la relativité salariale, le gouvernement est parvenu à amputer l’enveloppe salariale des syndiquéEs des secteurs public et parapublic de l’astronomique somme de 3,8 G. ou l’équivalent aujourd’hui de 10% de la masse salariale[6]. Convenons qu’il s’agit là d’une somme considérable qui rend compte en partie du retard salarial que ne cesse de constater, année après année, l’Institut de la statistique du Québec dans son étude annuelle de la rémunération des salariéEs de l’administration québécoise par rapport à différentes catégories de salariéEs (secteur privé, administration municipale, fédérale, universitaire et autres). Devant ces données nous pouvons candidement formuler la question suivante : est-ce vraiment ainsi que se font traiter des personnes privilégiées ? Augmentations salariales paramétriques[1] dans les secteurs pub… https://www.pressegauche.org/Augmentations-salariales-parame… 2 sur 7 2021-05-01 09:01

Proposition pour une analyse comparative

Il serait intéressant de passer à la loupe les augmentations salariales qui ont été accordées aux employéEs, toutes catégories confondues, d’Hydro-Québec, de Loto-Québec, de la SAQ, de la Caisse de dépôt et de placement du Québec (CDPQ), d’Investissement Québec et de l’industrie de la construction durant cette période qui va de juin 2003 à aujourd’hui ? Il serait encore plus intéressant de regarder comment les émoluments des députéEs, des procureurEs de la Couronne, des policières et des policiers de la Sûreté du Québec, des médecins spécialistes et des omnipraticiens ont progressé à la hausse, de manière spectaculaire dans certains cas, durant ces quasiment vingt dernières années. Ce sont là des organismes « péripublics », un secteur d’activité économique[7], des personnes salariÉes ou des « entrepreneurEs » (ou professionnelLEs indépendantEs) dont la rémunération pèse lourdement dans les finances publiques[8]. Sur la base de cette étude comparative jaillirait enfin la lumière. Il serait possible d’identifier clairement les groupes « privilégiés » et les autres qui sont constamment refoulés dans la catégorie des « désavantagés » et des « perdants au change ». À coup sûr, nous serions en mesure de constater qui sont les véritables privilégiés qui ont eu droit à des augmentations salariales supérieures à ce qui a été offert ou négocié pour le personnel syndiqué des services publics de 2003 à aujourd’hui. Mentionnons que dans plusieurs des secteurs qui ont profité d’une certaine forme de « largesse ministérielle », nous sommes en présence d’une main-d’oeuvre à prédominance masculine. Hasard ?

Conclusion

Pourquoi en matière de hausse de traitement le gouvernement adopte-t-il une orientation qui s’inspire de l’adage (ou de l’expression consacrée) « deux poids, deux mesures » ? Pourquoi face à deux situations analogues adopte-t-il une logique d’augmentation injuste, discriminatoire et désavantageuse pour les différents personnels syndiqués à son emploi dans les services publics ? Y a-t-il des personnes, aux yeux du gouvernement, qui effectuent (selon les secteurs qu’il finance) un travail dont la rémunération mérite de croître ou d’être haussée de manière vertigineuse et d’autres non ? Autrement dit, y a-t-il pour le premier ministre, le ministre des Finances et la présidente du Conseil du trésor, des personnes qui effectuent des tâches essentielles qui dans un cas se qualifient pour obtenir des hausses salariales à la hauteur de la valeur de leur prestation de service ou de travail et dans l’autre cas non ? Que dire maintenant des augmentations de salaire qui ont été négociées pour les professeurEs syndiquéEs dans les universités versus les cégeps ? Sont-elles identiques ou plus généreuses du côté des établissements universitaires ? Dans un texte qu’il a publié à ce sujet dans le quotidien La Presse en 2014, Francis Vaille précisait que du début des années quatre-vingt à 2013, l’écart salarial entre les professeurEs d’université et les professeurEs de cégep est passé de 38 % à 62 %[9]. Un écart absolument intéressant et surtout très avantageux pour les professeurEs universitaires. Non ? Force est de conclure que les faibles salaires que le gouvernement du Québec verse à ses propres salariéEs syndiquéEs des services publics représentent pour lui une source de richesse insoupçonnée. Cela lui procure une belle marge de manoeuvre pour en récompenser prodigieusement quelques-unEs (les happy few). C’est véritablement cette inacceptable politique de sous-rémunération systématique – et répétitive dans le temps – de ses salariéEs syndiquéEs qui lui permet d’en donner plus à certainEs et moins à d’autres. Il faut savoir que ce sont des ministres et des sous-ministres qui ont un poids déterminant dans la négociation des secteurs public et parapublic[10] qui ont décidé, depuis la fin des années quatre-vingt-dix et le début des années 2000, de contenir dans un inflexible modeste « 2% par année » l’accroissement de l’enveloppe monétaire des « EmployéEs syndiquéEs » des services publics. C’est ce choix arrêté derrière des portes closes et jamais négocié avec la partie syndicale, qui dicte ensuite le déroulement de la négociation ou de la « nonnégociation » (selon l’expression de Jean Charets). Face à ses salariées syndiquéEs, le gouvernement adopte un cadre financier que Philippe Couillard a déjà qualifié « d’immuable »[11]. C’est précisément ce choix fixé unilatéralement à l’extérieur de la « table centrale » de négociation et qui devient tout au long de la ronde de négociation un plafond indépassable, qui nous autorise à avancer que cela fait du gouvernement du Québec un authentique « État exploiteur » qui sous-rémunère délibérément et consciemment ses 550 000 salariéEs syndiquéEs qui sont à environ 75% des femmes. Comment qualifier ce biais, monsieur Legault ? Se peut-il que nous soyons ici en présence d’un biais qui relève d’un « sexisme systémique » ? Augmentations salariales paramétriques[1] dans les secteurs pub… https://www.pressegauche.org/Augmentations-salariales-parame… 3 sur 7 2021-05-01 09:01

Une perspective d’avenir

Puisqu’il est préférable de terminer sur une note d’espoir, allons-y d’abord d’une remarque de l’ordre de la récapitulation et ensuite tentons d’esquisser une piste de solution porteuse d’avenir, car il est nécessaire selon nous de trouver une voie alternative à envisager pour nous sortir de ce cercle à la fois vicieux et infernal. Depuis la fin des années soixante-dix (1979 pour être plus précis), les gouvernements qui se sont succédé à Québec n’ont jamais cessé de mettre en opposition la rémunération des salariéEs syndiquéEs des services publics versus la capacité de payer des contribuables. Depuis la ronde de négociation de 2003 à 2005, sous la gouverne de Jean Charest, l’élément additionnel nouveau consiste en ceci : l’État patron se présente à la table dite « centrale » de négociation en ayant préalablement adopté un cadre financier « rigide » (« immuable », « inamovible »). L’augmentation de la rémunération globale ne doit pas dépasser 2% par année. Voilà ce qui explique en grande partie pourquoi les augmentations paramétriques ne sont pas à la hauteur de l’Indice des prix à la consommation. C’est également ce qui nous permet de comprendre pourquoi il existe un écart toujours très important dans les salaires versés dans les secteurs public et parapublic au Québec par rapport à ces autres grands secteurs de l’activité économique (privé syndiqué, fédéral et municipal). Les augmentations salariales négociées dans ces autres secteurs ont été tout simplement supérieures à ce qui a été imposé ou négocié dans les secteurs public et parapublic du Québec. Ce cadre rigide de 2% d’augmentation de la rémunération globale annuelle (appelé à tort « inflation » par les porte-parole gouvernementaux) est tout simplement porteur d’un trop grand nombre d’injustices et il donne lieu à une succession de rondes de négociations frustrantes pour les salariéEs syndiquéEs. Frustrantes parce que la négociation ne débouche jamais sur un véritable début de rattrapage salarial et ni non plus sur la pleine protection du pouvoir d’achat. Lors de la triste et sombre ronde de négociation de 2003 à 2005, la présidente du Conseil du trésor de l’époque, madame Monique Forget, avait mandaté un mandarin (feu Marcel Gilbert) pour qu’il réfléchisse à un mécanisme de détermination automatique de la rémunération qui tenait compte de l’inflation.

Les travaux de ce haut fonctionnaire, qui avait été précédemment conseiller syndical à la CSN, sont restés secrets[12] et sont maintenant « tablettés ». Nous avons appris qu’il y avait eu, en 2007, des rencontres entre la partie gouvernementale et des représentantEs syndicaux autour de ce nouveau mécanisme concocté par Marcel Gilbert. La formule confectionnée et présentée pour des fins de discussion avait été jugée « trop compliquée » par la partie syndicale. Il faut donc chercher ailleurs s’il n’existerait pas une piste de solution fructueuse pour la suite des choses. Dans un jugement de la Cour suprême rendu en janvier 2015 la juge Rosalie Abella (dissidente) a statué que « les employés du secteur public ne devraient pas être tenus de subventionner la collectivité ou le secteur d’activité dans lequel ils travaillent en acceptant des salaires et des conditions de travail médiocres. [. . .] [t]out compte fait, si la collectivité a besoin d’un service public et l’exige, ses membres doivent assumer ce qu’il en coûte nécessairement pour offrir des salaires justes et équitables et ne pas s’attendre à ce que les employés subventionnent le service en acceptant des salaires médiocres » (paragraphe 65). La juge Abella ajoutait qu’il fallait aussi prendre en compte les salaires versés pour des tâches similaires dans d’autres domaines d’activité, tant dans le secteur privé que dans le secteur public[13].

Pourquoi le gouvernement du Québec n’adopte-t-il pas enfin une politique de rémunération de ses salariéEs syndiquéEs qui s’appuieraient sur ces principes qui ont indubitablement un caractère rationnel ? À l’ère de la constitutionnalisation des libertés syndicales (droits d’association, droit de négociation et droit de grève) il y a des changements qui tardent à venir. Le droit de négocier et le droit de faire la grève sont reconnus, depuis 2007, par différents jugements de la Cour suprême du Canada, comme étant des composantes intrinsèques de l’affirmation de la dignité et de l’autonomie personnelle des salariéEs syndiquéEs pendant leur vie professionnelle. À l’ère des droits syndicaux constitutionnalisés, à l’ère des lois qui consacrent l’égalité de traitement entre les sexes et l’équité salariale au travail, il y a au moins un objectif stratégique de l’État patron qui doit être remis en question lors des négociations dans les secteurs public et parapublic. L’alignement gouvernemental en vertu duquel l’augmentation de la rémunération monétaire globale ne doit pas être supérieure à 2% par année doit disparaître. C’est uniquement à cette condition qu’il est possible d’envisager un réel rattrapage salarial dans les secteurs public et parapublic. Nous avons essayé d’esquisser, Augmentations salariales paramétriques[1] dans les secteurs pub… https://www.pressegauche.org/Augmentations-salariales-parame… 4 sur 7 2021-05-01 09:01 dans le paragraphe précédent, une piste de solution à examiner au sujet du mode de détermination des augmentations de salaire des employéEs syndiquéEs des services publics et nous pensons que cette proposition mérite d’être largement débattue. Il serait détestable et trop décevant d’avoir à constater que l’histoire ne cesse de faire du sur place et qu’il n’est jamais arrivé le temps de procéder à un redresser vers la hausse de la rémunération des salariéEs syndiquéEs des services publics. Il ne faudrait tout de même pas que nous ayons à constater que l’État-patron est porteur d’autres biais à combattre que celui identifié plus haut. Yvan Perrier 14, 15, 16 et 17 avril 2021 yvan_perrier@hotmail.com

Annexe 1 : Échange de courriels Question : « Le présent courriel fait suite à notre échange téléphonique.

Préambule : Mes nombreuses entrevues avec divers négociateurs gouvernementaux m’amènent à croire que les négociations des rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic ne s’improvisent pas à la dernière minute. Ces négociations et les offres du gouvernement se préparent longtemps à l’avance, en règle générale autour de deux années d’avance. Dès le déclenchement de la campagne électorale de 2018 (août 2018 plus précisément), Philippe Couillard annonçait que son gouvernement irait de l’avant avec une proposition salariale modulée pour certainEs salariéEs. À l’occasion de la mise à jour économique du gouvernement du Québec, en novembre dernier, l’ex-ministre des Finances, monsieur Carlos Leitao, dans le cadre d’une entrevue qu’il accordait à Anne-Marie Dussaut à l’émission le 24/60, semblait très déçu de la manière de dépenser du gouvernement Legault. Monsieur Leitao a même précisé que le gouvernement dépensait trop et qu’il n’en gardait pas assez pour mieux rémunérer les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic, « qui sont aussi des Québécoises et des Québécois » précisait-il. Ma question : À quoi correspondait au juste l’offre monétaire (le coût total du monétaire et le pourcentage des augmentations de salaire) qui aurait été faite aux salariées syndiquées des secteurs public et parapublic sur laquelle travaillait le gouvernement Couillard au moment du déclenchement des élections de 2018 ? J’assure à
de traiter l’information dans le respect de la confidentialité. Très cordialement. Yvan Perrier » « Réponse : Pour répondre à votre question concernant l’offre monétaire, soit le coût total du monétaire et le pourcentage des augmentations de salaire, qui aurait été faite aux salariés syndiqués des secteurs public et parapublic, je vous informe qu’aucune offre n’avait été confectionnée par le gouvernement Couillard en date du déclenchement des élections de 2018. Je vous informe cependant que le cadre financier à moyen terme prévoit une augmentation de la rémunération globale se chiffrant à 2% par année. Il est impératif que les négociations s’effectuent à l’intérieur de ce cadre. (Nous) vous souhaitons bonne chance dans la poursuite de votre recherche. Augmentations salariales paramétriques[1] dans les secteurs pub… https://www.pressegauche.org/Augmentations-salariales-parame… 5 sur 7 2021-05-01 09:01 Cordialement, »

Notes

[1] Paramétrique : qui contient un paramètre valable pour tous et toutes. Quand il est question d’augmentation paramétrique, nous ne parlons pas ici des accroissements salariaux qui viennent avec les avancements dans les échelons ni de la « relativité salariale » et ni de « l’équité salariale ». Dans ces deux derniers cas (équité et relativité), il s’agit de programmes qui ont permis à certaines catégories de titres d’emploi d’obtenir une correction en lien avec les écarts salariaux entre les classes d’emploi par l’examen de leur valeur relative en vertu du principe : « à travail équivalent, salaire égal pour toutes les catégories d’emplois ». Il ne s’agit donc pas ici d’une « augmentation de salaire ». Le coût de la facture totale de ces programmes d’équité et de relativité était inclus et prévu dans le cadre monétaire (ou financier) que le gouvernement avait préalablement fixé unilatéralement avant les rondes de négociation de 2004-2005 et de 2014-2015.
[2] Source : Robitaille, Antoine. 2005. « Charest se dit au pouvoir pour trois mandats. » Le Devoir. 17 décembre 2005. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/97963/charest-se-dit-au-pouvoir-pour-trois-mandats (https://www.ledevoir.com/politique/quebec/97963/charest-se-dit-au-pouvoir-pour-trois-mandats) . Consulté le 8 novembre 2019.
[3] Un décret dans le présent cas.
[4] https://statistique.quebec.ca/fr/document/indice-prix-consommation-ipc/tableau/indice-des-prix-a-la-consommationipc- indice-ensemble-canada-quebec-rmr-montreal-quebec-moyennes-annuelles (https://statistique.quebec.ca/fr/document /indice-prix-consommation-ipc/tableau/indice-des-prix-a-la-consommation-ipc-indice-ensemble-canada-quebec-rmrmontreal- quebec-moyennes-annuelles). Consulté le 15 avril 2021.
[5] Ne pas oublier ici que les avancements dans les échelons, les primes, les bonis, les montants forfaitaires, l’équité salariale et la relativité salariale ne correspondent pas à des augmentations de salaire.
[6] https://www.pressegauche.org/La-face-cachee-de-la-remuneration-reelle-des-salarieEs-syndiqueEs-dans-les (https://www.pressegauche.org/La-face-cachee-de-la-remuneration-reelle-des-salarieEs-syndiqueEs-dans-les). Consulté le 15 avril 2021.
[7] Les travaux d’infrastructures du gouvernement du Québec sont réalisés en grande partie par des entreprises de l’industrie de la construction. La main-d’oeuvre sur les chantiers de construction est rémunérée aux taux qui sont négociés par les parties contractantes. Le gouvernement, quand il s’adresse à ces entreprises pour la réalisation de certains travaux, doit absorber le coût des augmentations salariales qui s’appliquent.
[8] Puisqu’il s’agit ici de catégories de salariéEs dont la rémunération est assumée en totalité ou en grande partie par l’État.
[9] Vailles, Francis. 2014. « Réponse de Francis Vaille ». La Presse, Montréal, 27 octobre 2014, p. A 16.
[10] Il s’agit du premier ministre (ou d’une personne de son bureau qu’il désigne), de sa ou son ministre des Finances, de sa ou son présidentE du Conseil du trésor et de certainEs sous-ministres ou l’équivalent.
[11] Philippe Couillard, « L’état des finances publiques est quelque chose qui est immuable », cité par Marie-Andrée Chouinard, « Trêve en éducation : pas de grève ce jeudi ». Le Devoir, 13 septembre 2005, p. A1.
[12] Ces documents ne sont pas accessibles au public en ce « en vertu du paragraphe 3o du premier alinéa de l’article 47 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (L.R.Q., c. A-2.1) » (Lettre de madame Marie-Pier Langelier [Responsable de L’accès aux documents et de la protection des renseignements personnels] reçue le 2 mai 2013).
[13] « [65] […] Dans Re British Columbia Railway Co. and General Truck Drivers and Helpers Union, Local No. 31 (non publiée, le 1er juin 1976), le président Owen Shime a exposé ce que l’on considère maintenant comme les six critères pour évaluer l’équité des règlements salariaux des employés du secteur public régis par des conventions collectives. La liste des considérations qu’il a dressée, résumée dans Workplace Health, Safety and Compensation Commission (Re), [2005] N.B.L.E.B.D. No. 60 (QL), comprenait les critères suivants qui sont particulièrement pertinents en l’espèce : [traduction] [l]es employés du secteur public ne devraient pas être tenus de subventionner la collectivité ou le secteur d’activité dans lequel ils travaillent en acceptant des salaires et des conditions de travail médiocres. [. . .] [t]out compte fait, si la collectivité a besoin d’un service public et l’exige, ses membres doivent assumer ce qu’il en coûte nécessairement pour offrir des salaires justes et équitables et ne pas s’attendre à ce que les employés subventionnent le service en acceptant des salaires médiocres. S’il est nécessaire d’économiser pour atténuer le fardeau fiscal, il faudrait le faire en réduisant certains éléments du service offert, plutôt qu’en réduisant les salaires et les conditions de travail. [. . .] . . . Il faut prendre en compte les taux de rémunération des travailleurs qui accomplissent les tâches similaires dans d’autres domaines d’activité, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Quelles comparaisons peuvent être faites avec ce qui existe dans d’autres secteurs de l’économie ? [. . .] [q]uelles tendances peut.on observer dans des emplois semblables dans les entreprises du secteur privé ? [par. 26] […] [67] La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’Organisation internationale du travail (OIT) peut également nous éclairer sur cette question. Selon la Commission, même en pleine crise financière, il y a des limites aux restrictions que les gouvernements peuvent imposer aux salaires du secteur public qui font l’objet de conventions collectives (Bureau international du Travail, La négociation collective dans la fonction publique : Un chemin à suivre (Conférence internationale du Travail, 102e session, 2013), p. 132.133). Fait important également, l’OIT a reconnu un principe général selon lequel « les limitations à la négociation collective de la part des autorités publiques devraient être précédées de consultations avec les organisations de travailleurs et d’employeurs en vue de rechercher l’accord des parties » (La liberté syndicale : Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration du BIT (5e éd. (rév.) 2006, par. 999). La juge Abella. Robert Meredith et Brian Roach c. Procureur général du Canada. [2015] 1 R.C.S., p. 65 et 67. »