Six conditions préalables à la convergence indépendantiste

30 mars 2016

Contribution de Benoit Renaud sur la politique d’alliance

 Bien des commentaires hostiles ont suivi les déclarations des porte-parole de Québec solidaire le 8 février à l’effet que nous n’étions pas ouverts, à ce moment-ci, à une alliance quelconque avec le Parti québécois. Ces déclarations mettaient l’accent sur le leadership de Péladeau et les difficultés particulières qu’il représente. Cette approche était problématique à deux niveaux : elle sous-entendait que le départ de PKP et l’arrivée d’un nouveau chef pourrait changer complètement la situation, alors que c’est le PQ lui-même qui constitue un problème depuis longtemps, et elle donnait l’impression que QS est un parti capricieux qui voulait s’ingérer dans les affaires d’un autre parti et n’était pas ouvert à la discussion.

Suite à ces déclarations, Option nationale a suggéré que QS devrait faire savoir quelles sont ses conditions pour amorcer des discussions en vue d’une grande alliance indépendantiste pour les prochaines élections. Cette réponse nous semble raisonnable et fait ressortir la faiblesse de l’argumentation développée le 8 février qui nous a exposée à toutes sortes d’attaques, généralement de mauvaise foi.

Environ un mois plus tard, Québec solidaire répliquait avec une sortie bien articulée demandant au PQ de clarifier ses positions sur la démarche menant à la souveraineté et en réaffirmant la stratégie de QS, soit de construire une majorité pour l’indépendance autour de l’assemblée constituante et d’un projet de société.

http://www.quebecsolidaire.net/quebec-solidaire-invite-les-autres-formations-politiques-souverainistes-a-devoiler-leur-strategie-daccession-a-lindependance/

Cependant, cette sortie n’a pas assez clarifié la ligne de démarcation entre le PQ et QS pour donner un contenu solide aux interventions de l’ensemble du parti dans ces débats. On continue à entretenir un certain flou sur nos rapports avec le PQ sur le terrain et les possibilités concrètes d’alliance électorale pour 2018.

Je suggère ici une approche différente. Il s’agit, comme l’invitait le président de QS dans le communiqué du 19 mars, de « mettre cartes sur table », c’est-à-dire de formuler une série de conditions préalables à toute discussion (avec le PQ ou ON ou qui que ce soit) sur une éventuelle collaboration sur le terrain électoral. Il s’agirait de s’appuyer dans certaines circonscriptions pour faciliter l’élection d’une majorité de député-e-s souverainistes à l’Assemblée nationale, et non de la formation d’un gouvernement de coalition, lequel demanderait un accord beaucoup plus exhaustif sur toute une série de questions. Chacune de ces six conditions m’apparaît incontournable et non négociable.

1. Une démarche vers l’indépendance à court terme

La première condition serait un engagement ferme à tenir un référendum sur l’indépendance du Québec durant un premier mandat advenant l’élection d’une majorité de députés souverainistes ou indépendantistes, parce que autrement, il n’y aurait pas de but commun suffisant à une éventuelle alliance. L’idée qu’on devrait s’allier au PQ pour renverser les Libéraux me parait absurde. Au pouvoir, le PQ a mené le même genre de politique antisociale et anti-écologique que le PLQ. Remplacer Couillard par PKP ne serait en aucune façon une victoire pour les mouvements sociaux. Seule la lutte indépendantiste peut donner un sens à une quelconque alliance. Sans engagement ferme de la direction du PQ sur cette question, nous n’avons rien à nous dire.

2. La constituante

En lien avec le premier engagement, la rédaction de la constitution du futur Québec indépendant devra être confiée à une assemblée constituante élue, chargée de mener une consultation large dans la population. Cette condition est essentielle parce que la loi fondamentale du nouveau pays doit être le résultat du processus le plus démocratique possible. D’ailleurs, cette idée a été reprise par Option national et le OUI-Québec. Si le PQ persiste à la rejeter, il exprime sa détermination à confier les décisions cruciales relevant de la constitution à un groupe de personnes choisies par un éventuel premier ministre péquiste. Cette approche monarchiste, similaire à celle qui a présidé à la réforme constitutionnelle canadienne de 1982, est contraire à l’esprit du mouvement indépendantiste.

Aussi, comme le rappellent les porte-parole de QS dans leur communiqué, l’assemblée constituante elle-même constitue une méthode très prometteuse pour mobiliser largement la population derrière le projet de pays et bâtir la majorité indépendantiste qui sera nécessaire au moment du référendum.

3. Le scrutin proportionnel

L’adoption d’un mode de scrutin faisant une large place à la proportionnelle est aussi une condition essentielle. Il faut en finir au plus vite avec le système électoral « infecte » hérité du colonialisme britannique. Une éventuelle coalition devrait pouvoir s’engager à ce que l’élection de 2018 soit la dernière pour ce vieux système qui ne reflète pas fidèlement la volonté de la population. Le PQ a échoué à mettre une telle réforme de l’avant lorsqu’il était au pouvoir même si elle était dans son programme jusqu’à tout récemment. Une ouverture à reconsidérer cette question serait une démonstration concrète du nouveau respect affiché par la direction du PQ pour le pluralisme au sein du mouvement indépendantiste.

4. Pas de Charte des valeurs

Pour moi, tout le reste de l’édifice ne tiendrait pas debout sans le renoncement du PQ à tout projet du type de la Charte des valeurs. On sait par expérience qu’un tel projet diviserait profondément la population au moment où on cherche à l’unir et à inclure des gens de tous les horizons dans un projet commun. Le dommage causé au mouvement indépendantiste par cette politique désastreuse du PQ ne peut être réparé que si une éventuelle alliance électorale s’engage à ne pas répéter la même erreur. Nous n’allons pas rallier la majorité de la population à un projet qui ne reconnait pas l’égalité des droits de toutes les personnes qui composent la nation québécoise, indépendamment de leurs croyances religieuses et de leurs habitudes vestimentaires.

5. Reconnaitre l’urgence climatique et agir en conséquence

Il faut aussi inclure parmi nos conditions l’adoption d’un programme audacieux de transition énergétique écologique. Le gouvernement formé suite à l’élection de 2018 devrait être en place pour environ 4 ans. L’urgence climatique est devant nous maintenant et on ne peut pas attendre en 2022 pour commencer à réduire drastiquement nos émissions de GES. D’ailleurs, le rejet des projets d’oléoducs constitue de plus en plus un consensus dans les secteurs progressistes de la population québécoise. Le Bloc en avait fait un élément central de sa campagne de 2015. Le OUI-Québec organise présentement des activités sur le sujet. Mais il faut aller plus loin que le rejet du pétrole « des autres » et renoncer aussi à ce que le Québec devienne un producteur de pétrole.

6. Agir face à l’urgence sociale

L’introduction d’un revenu minimum garanti dès le premier budget d’un nouveau gouvernement est essentielle d’un point de vue indépendantiste, parce qu’on ne peut pas libérer un peuple quand une bonne partie de ce peuple vit dans la misère. L’égalité des droits pour l’ensemble des citoyennes et citoyens du nouveau pays, c’est ça aussi.

Une perte de temps ?

Est-ce que je crois que le PQ de PKP est capable de répondre favorablement à ces six demandes ? Honnêtement, je serais très surpris. La tendance lourde du PQ, qui semble avoir été approfondie et non remise en cause par l’élection du nouveau chef, est une vision de la souveraineté qui n’implique qu’un transfert de pouvoir d’un gouvernement à un autre, sans que la participation du peuple, de tout le peuple, soit nécessaire.

Mettre ces conditions sur la table m’apparait tout de même nécessaire. Ne rien proposer permet aux adversaires de QS de l’attaquer soit pour son « ouverture au dialogue » vague et sans contenu avec n’importe qui, soit pour son « refus d’une alliance » sur la base de critère tout aussi fragiles.

Et elles devraient être présentées en même temps. Autrement, on s’expose à un problème majeur de communication politique ou un autre : donner l’impression que QS n’a que peu de désaccords profonds avec le PQ, que nous serions un groupe de pression sur le PQ et non une alternative politique à part entière, que nous n’envisageons une telle alliance que pour des motifs partisans (faire élire deux ou trois députés de plus), que nous accepterions de faire une alliance avec un parti qui n’hésite pas à utiliser la démagogie xénophobe pour gagner des votes, que nous serions prêts à contribuer à l’élection d’un autre gouvernement de centre-droite ordinaire et ainsi mettre les ambitions et les revendications des mouvements sociaux en veilleuse jusqu’après la réalisation de l’indépendance.

Aussi, l’avantage de cette liste est qu’elle serait probablement acceptable pour Option nationale, ce qui mettrait les indépendantistes qui appuient encore le PQ dans l’embarras et ouvrirait la porte à une collaboration étroite avec ON sur la base s’un projet positif, écologique, social et démocratique, mettant de côté le slogan creux sur l’indépendance « ni à gauche, ni à droite ». L’idée que QS n’est pas vraiment indépendantiste ou aurait été créé pour diviser le mouvement ferait face à une dissonance cognitive solide si c’était sur la base de nos propositions que le mouvement indépendantiste trouvait un nouveau point de convergence et une nouvelle stratégie pour aller de l’avant.

Benoit Renaud, 28 mars 2016