Québec solidaire

De quel parti avons-nous besoin ?

Benoit Renaud
13 novembre 2024

 Avant d’aborder les sujets qui seront à l’ordre du jour du congrès de Québec solidaire sur les statuts, il convient de se demander quelles sont les tâches de la gauche dans la période actuelle et quel type d’organisation convient le mieux à la réalisation de ces tâches. En effet, un parti n’est rien d’autre qu’un instrument, un outil, dont l’utilité ne se mesure qu’à sa capacité à accomplir ce qui est nécessaire.

En ce qui concerne les tâches de la gauche pour les années qui viennent, il apparaît évident, notamment suite aux résultats de la présidentielle étasunienne, que nous aurons à mener de multiples batailles difficiles contre un vent de droite et d’extrême-droite intense. Le simple respect des droits humains n’est pas une référence pour bien des gens. En particulier, le droit de quitter son pays pour fuir la guerre, la misère ou la répression est nié par l’autoritarisme sécuritaire et le nationalisme étroit. Les efforts visant à minimiser le chaos climatique se heurtent à un individualisme exacerbé et parfois violent, en plus des intérêts financiers du capitalisme extractiviste. Les acquis du mouvement féministe des dernières générations sont remis en question par divers mouvements conservateurs, nationalistes ou religieux.

La liste des batailles à venir pourrait être très longue. L’essentiel est de s’entendre sur le fait que l’évolution récente et prévisible du paysage politique n’est pas favorable aux idées féministes, humanistes, écologistes ou internationalistes. La démocratie libérale elle-même est minée par les tendances autoritaires démagogiques, parfois fascisantes. Partout, les forces politiques de centre-droite et de centre-gauche démontrent leur incapacité à mener les batailles nécessaires avec succès. Bref, nous allons devoir ramer à contre-courant pour toute une période et s’atteler à construire, patiemment, des contre-pouvoirs, des mouvements de résistance et une vision collective d’une alternative globale et radicale. Les petites réformes à la marge ou le simple remplacement des personnes présentement au pouvoir par d’autres ne suffiront pas. Gagner les élections ne suffira pas. On l’a vu récemment en France avec la victoire du Nouveau front populaire, effacée par l’autoritarisme présidentiel et les manigances de coulisse entre les partis de droite.

ACTION POLITIQUE OU CONSOMMATION POLITIQUE ?

Quel type de parti convient à ces efforts de résistance sur plusieurs fronts à la fois, à la construction patiente d’un mouvement social capable de renverser la vapeur ? Une machine électorale bien huilée avec un plan de communication en béton, des candidatures prestigieuses et un gros budget ne fera pas l’affaire. On vient de voir les limites de ce modèle avec la faillite totale du Parti démocrate étasunien. Si on se limite à une compétition électorale pour attirer des consommateurs politiques atomisés vers “notre produit”, nous n’avancerons pas. Québec solidaire pourrait même perdre des plumes d’une élection à l’autre, face au rouleau compresseur institutionnel et au capitalisme médiatique.

Face à l’individualisme exacerbé et de plus en plus autoritaire qu’on pourrait qualifier d’égofascisme, l’alternative doit être une démarche d’action politique collective. La gauche doit se définir non seulement par ce qu’elle propose, mais aussi par sa manière de mener le travail politique, toujours sur le terrain des luttes et des résistances quotidiennes. Notre mode de fonctionnement doit être centré sur la délibération collective dans des espaces de démocratie participative. Le parti dans son ensemble doit être une école de militantisme, un incubateur de résistances, un point de rencontre pour toutes les personnes qui refusent de se laisser assimiler par la machine à produire des travailleurs-consommateurs-citoyens dociles.

QUE PENSER DES CHANGEMENTS PROPOSÉS AUX STATUTS ?

Plusieurs propositions en débat au congrès vont clairement dans la mauvaise direction. Tout ce qui encourage un rapport de consommation politique individuelle entre les membres et la structure de l’organisation est à rejeter. Non aux référendums décisionnels. Non au suffrage universel pour toute élection interne. Dans les deux cas, les membres se retrouvent seuls face à une décision politique et n’ont pas l’obligation d’en discuter avec qui que ce soit. On peut créer “des espaces de formation et de discussion”, tel que souhaité par le conseil national, mais les membres n’ont aucune obligation d’y participer.

Les grandes décisions politiques et les élections internes devraient demeurer entre les mains des structures de délibération, d’échange et de débat, comme le congrès ou le conseil national. C’est ce qui fait notre force depuis presque vingt ans. À noter, tant pour les élections au suffrage universel que pour les référendums, on abandonnerait le principe de la parité. On peut difficilement imaginer une manière de limiter les droits de vote individuels dans ce contexte.

Tout ce qui mine la collégialité des structures exécutives et l’égalité entre les personnes qui y participent est aussi à rejeter. C’est le cas de l’élection des porte-paroles ou de la présidence au suffrage universel. C’est certainement le cas avec l’introduction de courses à la chefferie. On nous dit que c’est pour que les courses au porte-parolat s’autofinancent et aussi que la collégialité du CCN sera maintenue. Ce sont là de belles intentions et de belles paroles qui font fi de la réalité politique. Si des milliers de dollars sont recueillis et dépensés pour une course à la chefferie, la personne qui va emporter cette course n’aura pas un statut égal à l’autre porte-parole, tant dans les yeux de la plupart des membres que dans les médias et dans l’opinion publique. Et la loi nous interdit d’utiliser ces sommes pour autre chose que la course. Alors pourquoi rompre avec nos principes pour ce plat de lentilles ?

Il y a aussi de bonnes idées dans ce cahier de synthèse. Un conseil national composé de personnes désignées pour des mandats d’un an (comme les membres des comités de coordination des associations) sera mieux à même de jouer son rôle de supervision de l’ensemble des activités du parti. Il pourra se réunir plus rapidement, plus souvent, pour des rencontres de durée variable, et donc réagir aux revirements fréquents de la conjoncture. Bref, ce sera un gouvernail efficace dans les tempêtes politiques qui s’annoncent.

L’ajout d’une personne responsable des liens pancanadiens et internationaux au CCN est aussi une excellente idée. Les luttes que nous aurons à mener seront internationales par la force des choses. Notamment, la bataille pour l’indépendance du Québec va devoir se mener avec des alliances pancanadiennes et internationales pour briser la résistance de l’État fédéral et obtenir la reconnaissance rapide du nouveau pays.

DES DÉBATS À POURSUIVRE

Sur d’autres questions, il semble, après quelques mois d’échanges sur le cahier initial de propositions, que le fruit n’est pas mûr et que le congrès devrait reporter les décisions à plus tard. C’est notamment le cas avec la réforme des structures locales et régionales. Des échanges plus approfondis sont nécessaires pour fignoler une réforme qui nous donne de la flexibilité tout en respectant le principe de l’égalité des droits pour les membres. Présentement, trop de membres n’ont pas la possibilité de participer à une association locale et ce sont ces associations qui dominent le congrès et le CN. Aussi, trop d’associations régionales sont moribondes ou dormantes. On doit redéfinir leur rôle en pratique avant de refléter ces nouvelles pratiques dans une réforme des structures.

C’est aussi le cas avec l’idée intéressante des comités d’action politique. Ceux-ci devraient représenter un renforcement du rôle des structures thématiques dans le parti, en combinant les rôles de la mobilisation, de la formation et du développement des orientations. Mais il y a trop de résistance à cette idée parmi les personnes présentement impliquées dans les réseaux militants et les commissions thématiques. Manifestement, les intentions initiales du comité de révision des statuts ont été mal traduites en amendements spécifiques. Aussi, les répercussions indirectes de cette réforme (sur la commission politique notamment) manquent de précision.

En conclusion, le congrès sur les statuts sera une occasion de décider quel type de parti nous voulons construire au cours des prochaines années. Allons-nous céder aux pressions institutionnelles et médiatiques et faire de QS un parti de plus en plus semblable aux autres ? Allons-nous au contraire résister à ces pressions et insister sur la nécessité de “faire de la politique autrement”, comme on le disait souvent dans les premières années ? Espérons que le congrès retiendra la seconde option.