Lutte pour l’indépendance et les politiques d’alliance

30 mars 2016

Contribution de Bernard Rioux sur les politiques d’alliance

0. Introduction

Ce texte s’inscrit comme une réponse à une politique de dialogue et de la main tendue envers le Parti québécois.que certainEs dirigeantEs de Québec solidaire mettent de l’avant: Voir les entrevues d’Andres Fontecilla dans le Journal de Montréal (et de Québec). Dans cette entrevue, Québec solidaire (QS) n’écarte pas la possibilité de créer une alliance avec les autres partis souverainistes, le Parti québécois et Option nationale. Si le porte-parole de Québec solidaire indique qu’un pacte électoral doit être basé sur une vision commune, la position qui est mise de facto de l’avant alors qu’aucun choix démocratique n’a été fait à cet égard, c’est l’ouverture d’un dialogue avec les autres partis dits indépendantistes sur la stratégie d’accession à l’indépendance afin de déboucher sur un éventuel pacte électoral. Une telle orientation ne peut que fragiliser Québec solidaire qui est la cible de la part de la droite nationaliste  d’un discours qui tend à le définir comme un obstacle non seulement à l’indépendance du Québec, mais à la lutte contre le gouvernement Couillard. Cette ouverture prépare la voie à l’hégémonisation de la démarche du vote stratégique en faveur du PQ aux prochaines élections. Ce n’est qu’en se posant comme nécessaire alternative sur le terrain national et social dans la lutte pour l’émancipation que QS pourra se consolider et se renforcer.

1. Le sens et les objectifs de la politique d’alliance du PQ  

a. Une offensive de longue haleine contre QS – confrontation idéologique et rapprochement tactique

La convergence des indépendantistes et sa nécessité est une pure rhétorique pour la direction du Parti québécois. La preuve en est, que ce parti repousse à la toute veille des élections de 2018, la définition de sa démarche stratégique pour l’indépendance. En fait, ce que ce choix révèle, c’est que la seule échéance réelle pour le Parti québécois, c’est la prise du pouvoir en 2018.

Pour ce faire, le Parti québécois doit d’une part remobiliser ses troupes en agitant la perspective indépendantiste et la nécessaire convergence des indépendantistes tout en plaçant (le plus tard possible – à la veille des élections) l’annonce de son intention de reporter le référendum à un deuxième mandat. Il espère ainsi redevenir un foyer de convergence des indépendantistes et se présenter comme au coeur d’une politique d’alliances des partis d’opposition. L’objectif poursuivi est clair : capter à son profit les 10 à 12% des voies attribuées à QS en faisant pression au désistement des candidatures de QS dans un certain nombre de comtés. Il ne peut parvenir à cet objectif qu’en utilisant la rhétorique de la convergence indépendantiste comme base d’un travail d’agitation autour de l’axe qu’un vote pour QS est un obstacle à la marche vers l’indépendance.

Il s’apprête à renouveler sa théorie des étapes en insistant sur la priorité que les indépendantistes s’unissent dans un vote stratégique pour le PQ afin de battre le gouvernement Couillard. Dans ce contexte, QS sera invité à faire prioriser la cause indépendantiste et la justice sociale, sur l’égoïsme de parti. Le vote pour QS devenant essentiellement un obstacle dans la réalisation de cet objectif. Le PQ pourra même s’appuyer sur les directions syndicales pour faire pression sur QS pour faire de la victoire contre les libéraux le seul enjeu réel de 2018.

Des dirigeants du Parti québécois ont répété qu’ils vont s’adresser tant à la direction de QS, qu’à la base militante ou à son électorat pour lui faire partager cette vision d’un éventuel front uni. D’ailleurs, cette intention n’est pas restée qu’au niveau des intentions. Différents responsables des associations de Québec solidaire ont été contactés pour ouvrir le dialogue et participer à des initiatives conjointes.

b. La CAQ, souligner les convergences, gommer les divergences… préparer les alliances à la droite également

Cette politique de convergence passe également par des initiatives avec la CAQ au niveau parlementaire afin de montrer qu’il y un affaiblissement des divergences avec les opposants de la droite nationaliste (CAQ). Il s’agit de gommer les divergences au niveau des politiques économiques et des politiques identitaires (charte des valeurs, immigration, défense de la langue française). Cette orientation en direction de la CAQ est d’autant plus importante, que le bassin électoral à attirer  est beaucoup plus important sur la droite que sur la gauche. Et le transfert de ce bassin électoral vers le PQ ne se concrétisera pas seulement ou même principalement comme des changements d’allégeance individuelle. Il peut donner lieu à des ententes et à des possibles coalitions. Et cette perspective est d’autant plus crédible, que la direction Legault qui aspire trouver des raccourcis pour être partie prenante du pouvoir gouvernemental pourrait, en échange d’engagement sur le report de la démarche vers la souveraineté, voir d’un bon œil une éventuelle coalition gouvernementale avec le Parti québécois. Sur le soutien au libre-échange, sur la priorité donnée à l’équilibre budgétaire et la politique d’austérité, les convergences sont déjà assurées. Sur Energie Est, PKP, prépare déjà son parti à des tournants « réalistes » une fois au pouvoir… (Voir la déclaration de PKP… sur la position sur le pipeline d’Energie Est qui pourrait être appelée à changer.)

2. Les axes d’un front uni que doit développer Québec solidaire dans les mois et années qui viennent

Le Parti québécois n’est pas le navire amiral de l’indépendance. Il en est un naufrageur. Son néolibéralisme, ses positions pro-impérialistes (libre-échange, tournant pétrolier, politique d’austérité) sont la démonstration que l’indépendance est instrumentalisée pour donner une cohérence au bloc hégémonique qu’il a su créer… et qu’il cherche à perpétuer que l’on nomme ce bloc famille souverainiste – ou navire amiral.

Le Parti québécois cherche aujourd’hui à satelliser Québec solidaire, à réduire son rôle à celui de la cinquième roue du carrosse péquiste. Dans ce contexte toute politique de la main tendue fera le jeu de la marginalisation et de l’affaiblissement de Québec solidaire.

Au bloc nationaliste dirigé par le Parti québécois, il faut opposer un bloc populaire s’appuyant sur les classes ouvrière et populaire défendant un programme anti-austéritaire, anti-libre échange, pour une transition écologique basée sur une politique d’investissements économiques publics et pour démarche d’accession à l’indépendance basée sur une approche radicalement démocratique qui passe par l’élection d’une assemblée constituante et la tenue d’un référendum sur ses travaux , tout cela dans un premier mandat.

a. La lutte contre l’austérité passe par le développement de l’autonomie du mouvement syndical et des mouvements sociaux face aux partis politiques néolibéraux

Il faut tout le contraire d’une politique de dialogue qui gomme nos divergences avec le PQ. Il faut le bilan concret du Parti québécois au pouvoir (gouvernement Marois) comme dans l’opposition pour démontrer qu’il a repris à toutes les fois qu’il était au pouvoir les perspectives du milieu des affaires québécois:

    • politiques d’austérité : déréglementation – privatisation – libre-échange

    • politiques environnementales : exploration du pétrole en sol québécois – tergiversation de la direction péquiste sur le projet d’Energie est – place prépondérante du privé dans le tournant énergétique envisagé.

    • soutien aux traités de libre-échange (ALENA, AECG, Traité transpacifique…)

b. Clarifier le plus largement possible, la perspective d’indépendance et en quoi il se distingue du projet péquiste

Il faut demander pourquoi le PQ refuse de préciser sa conception de la lutte l’indépendance dès le premier mandat. Il faut le mettre au défi de reprendre à son compte la nécessité de l’élection d’une assemblée constituante et de le confronter à cet égard.

c. Appeler les indépendantistes à construire un mouvement populaire pour l’indépendance.

Il faut amener le PQ et les indépendantistes qui le suivent derrière à se mobiliser pour des batailles concrètes dès aujourd’hui. Des enjeux illustrent la soumission nationale du Québec au gouvernement canadien. Cette soumission, c’est le choix de l’oligarchie fédéraliste (y compris des élites nationalistes). Nous sommes prêts à construire un mouvement citoyen pour l’indépendance avec tous et toutes les indépendantistes (qu’ils ou elles soient péquistes ou non) et qui sont prêts à refuser les volontés des multinationales de s’emparer de notre secteur public en mettant de l’avant des accords de libre-échange. Ces accords sont contraires à la défense de nos services publics. Si le PQ comme parti est prêt à dénoncer de tels accords et de le faire dans l’action… nous pouvons construire ces initiatives, en appliquant la perspective de lutter dans des initiatives précises, sans jamais abandonner notre discours, notre drapeau et nos critiques de ce parti.

Nous sommes prêtes à construire un mouvement citoyen pour l’indépendance pour rejeter les politiques de Trudeau comme de Couillard concernant l’exploitation pétrolière et le passage des pipelines de l’ouest en territoire québécois. Nous sommes prêts à travailler avec tous et toutes les indépendantistes autour de cette perspective en expliquant qu’on refuse que ce soit le gouvernement fédéral qui décide pour le Québec et que nous ne les laisserons pas se construire le pipeline d’Erergie Est.

Nous croyons qu’un mouvement populaire pour l’indépendance doit s’organiser sur un mode assembléiste et démocratique – et qu’il doit oeuvrer à concrétiser dans des combats partiels d’aujourd’hui, la souveraineté populaire qui pourrait culminer dans l’élection d’une assemblée constituante.

OUI Québec peut être un lieu où proposer ces perspectives. Mais, son fonctionnement peu démocratique va nécessiter des débats majeurs pour en faire un outil pour la construction d’un véritable mouvement citoyen… L’important ce n’est pas de s’accrocher à un cartel d’organisations nationalistes, sans grande capacité d’initiative, c’est d’aider à mener des combats indépendantistes réels sur des enjeux actuels et de contribuer à se donner des organisations capables de prendre des initiatives sur ce terrain.

3. Examiner pourquoi les politiques d’alliances avec le Parti québécois dans le cadre de la famille souverainiste détournent QS des défis politiques qui sont devant lui

a. le rejet de la perspective de front uni gouvernemental (ou de toute alliance stratégique)

En juin 2012, des intellectuels nationalistes lançaient cet appel : « Pour cette raison, nous appelons le Parti Québécois, Québec solidaire, Option nationale et les députés indépendants à se rassembler pour former un seul front uni lors de la prochaine élection, capable de gouverner en suscitant les consensus plutôt qu’en attisant les divisions. » (Dominic Champagne, Jean-Martin Aussant…) Nous rejetons toute perspective de participation à un gouvernement conjoint avec un parti néolibéral. On ne peut pas faire abstraction des bases politiques du Parti québécois et de sa pratique gouvernementale concrète à toutes les fois qu’il a été au pouvoir. Le ranger dans le camp du progressisme est une source de confusion qui ne peut qu’amener Québec solidaire à remettre aux calendes grecques une politique de rupture avec la logique néolibérale et capitaliste.

Le Parti québécois porte un projet stratégique – celui d’une souveraineté-association incapable de faire une démarche de rupture réelle avec la bourgeoisie canadienne et son État. Toute l’histoire du PQ en est la démonstration. L’élection est un moment où est posée tant la question du projet de société que de qui doit diriger cette société. La politique péquiste s’est toujours limitée au cadre de la gestion capitaliste en respectant les modes dominants d’accumulation. À l’époque du mode d’accumulation keynésien, les péquistes étaient keynésiens. Alors que la bourgeoisie au Canada comme ailleurs, a lancé une contre-offensive et à développer des politiques néolibérales, le Parti québécois a développé une gestion économique et politique néolibérale. Tant au niveau de la conception de l’économie, de la politique, de l’indépendance tronquée qu’il défend, le PQ présente un projet stratégique radicalement différent de ce que défend Québec solidaire. Il faut rendre clair que ce sont deux projets politiques qui se confrontent.

b. Les démarches d’alliances tactiques

Les alliances tactiques et les démarches de désistement ne peuvent que jeter la confusion et affaiblir Québec solidaire dans sa démarche de construction. Compte tenu de ce qu’est une élection, où des projets de société et de transformation sociale sont mis en discussion, des alliances tactiques impliquent un important niveau de convergence en ce qui concerne les objectifs stratégiques qui se confrontent.

L’important pour le développement de Québec solidaire, c’est de réussir à faire comprendre pour de larges secteurs de la population que les objectifs stratégiques poursuivis s’opposent radicalement.

La proposition de plate-forme commune dans ce contexte, qui cherche à faire abstraction des différences stratégiques au niveau des projets politiques de chaque formation, ne sert qu’à semer la confusion et nourrira la démobilisation sur l’importance du projet défendu par un parti politique comme Québec solidaire.

Nous ne croyons pas que les démarches qui n’ont qu’un caractère de posture – on propose une plate-forme commune en étant certain qu’elle sera rejetée, relève d’une logique manipulatoire inefficace qui ne trompera personne sauf le parti qui s’engage d’un tel exercice. Le caractère contre-productif et dangereux des démarches d’unité promises à l’échec. L’important, ce n’est pas de prendre une posture médiatique qui semble payante, c’est de transformer le rapport de force réel entre les projets politiques en proposant des perspectives qui participent du renforcement réel de la lutte pour l’indépendance.

4. L’objectif d’une politique d’unité envers Option nationale : l’amener à rompre ouvertement avec le PQ et avec son rôle d’entremetteur entre QS et le PQ

Nous devons proposer à Option nationale la démarche proposée au point 2. (a, b, c) Option nationale va se ranger soit derrière le PQ, soit derrière notre perspective concrète de lutte pour l’indépendance. Gagner ce parti à une telle perspective pourra que renforcer notre combat pour la création d’un nouveau bloc social pour l’indépendance.