9 octobre 2024 /
Les modifications proposées aux statuts de Québec solidaire pour le prochain congrès n’ont rien d’un nettoyage cosmétique. Elles vont déboucher, si jamais elles sont adoptées, sur un affaiblissement de la démocratie délibérative et nous mener à une démocratie plébiscitaire. Des amendements proposent l’utilisation du suffrage universel pour l’élection à des postes de responsabilité et l’utilisation de référendums pour trancher des débats politiques. Ces propositions relèvent d’une démocratie plébiscitaire. Des propositions sont marquées par le retour des notions de chef, la disparition ou l’affaiblissement d’instances ou par la diminution des pouvoirs du congrès ou des assemblées générales dans le fonctionnement du parti. C’est un fonctionnement verticaliste qui se profile. Ceci ne mènera pas au renforcement de l’engagement politique des membres ni à l’intensification de son rayonnement.
1. Affaiblir des prérogatives du congrès
Plusieurs amendements visent à affaiblir le pouvoir du congrès de Québec solidaire. L’élection au suffrage universel des porte-paroles et de la présidence constitue un recul du pouvoir attribué au congrès du parti.
La légitimité démocratique ne découle pas seulement de la simple expression des volontés individuelles, mais de leur co-construction dans la discussion. Cela est également vrai pour les élections. L’élection au suffrage universel ne peut que saper la démocratie délibérative en niant l’importance et la pertinence de la confrontation des idées à partir de débats concrets. Les personnes qui ne participent pas à ces débats n’ont pour guider leur choix que la notoriété de celles qui se présentent à une élection pour un poste. D’autre part, en introduisant des postes de responsabilité accordés par suffrage universel, alors que d’autres postes sont accordés par le vote des délégué-es, ces amendements aux statuts introduisent une double légitimité chez les personnes élues, et donc des inégalités de prestige et de statut entre elles. [2]
L’élection d’un chef ou d’une cheffe à partir des obligations imposées par la loi électorale ouvre la porte au retour du chef. Cette proposition est essentiellement motivée par des raisons économiques. Une élection de ce type permettrait de mener une vraie course à la chefferie, pouvant faire l’objet d’un financement. Le texte qui motive cette proposition se veut d’ailleurs rassurant, en prétendant que ce chef n’aura que des fonctions administratives. Mais cela ne sera considéré ainsi ni par les grands médias ni par les autres partis politiques. Ce type de fonctionnement conduira inévitablement à la rupture avec un fonctionnement qui est basé sur des préoccupations démocratiques et féministes, celles de porte-parole élu-es (une femme et un homme) par les délégué-es à un congrès. La notion de chef (au masculin) qui structure les partis politiques traditionnels comme partis patriarcaux ne doit pas faire un retour en force dans la pratique de QS. Les difficultés connues cette dernière année auraient dû être une leçon importante à cet égard.
Il en va de même de l’élection de la personne porte-parole candidate au poste de premier ou première ministre. La participation aux débats des chefs est une chose. L’élection d’un premier ou d’une première ministre en est une autre, d’autant plus que nous favorisons, si nous utilisons ce langage, une dynamique de centralisation du pouvoir dans le parti et nous taisons le fait que nous rejetons la centralisation actuelle des pouvoirs dans les mains d’un premier ministre. Notre démarche de constituante vise d’ailleurs à redéfinir nos institutions pour mettre fin à ce type de centralisation des pouvoirs.
2. Les référendums, utilisés comme moyens de trancher les débats
La tenue d’un vote des membres pour trancher des débats importants place la procédure d’un référendum sur le même pied que l’instance que représente le congrès. Il est d’ailleurs prévu que le congrès du parti ne pourra pas renverser une position adoptée par référendum à moins d’un vote des deux tiers.
Pour le comité des statuts, le référendum interne permet à l’ensemble des membres de se prononcer sur une question précise. Un référendum pourrait être lancé par décision du congrès ou du Conseil national, par des décisions du Comité de coordination national ou par une pétition portée par une association locale et signée par 5 % des membres en règle.
Qu’un congrès décide de tenir un référendum, dans des circonstances particulières et à des fins d’information, c’est une chose, mais en faire un mode de résolution des débats dans le parti en est une autre.
Un référendum peut conduire à éviter ou à contourner une assemblée générale délibérative. Il ne permet pas de débattre de manière approfondie des enjeux entourant une décision politique, de soupeser réellement les options alternatives à partir d’échanges concrets et d’enrichir par des amendements ou par des textes alternatifs des éléments pouvant éclairer la décision des membres impliqués concrètement dans les débats. De plus, les personnes qui n’ont pas participé aux débats peuvent ne pas avoir une véritable compréhension des enjeux reliés à ces débats.
La réponse binaire (voir les deux options proposées lors de la tenue d’un référendum) peut rendre dangereusement vaseuse et incompréhensible une décision à laquelle on aura agrégé une série de propositions contradictoires. C’est pourquoi le référendum constitue une dangereuse remise en question de la démocratie délibérative. Un tel fonctionnement ne conduirait pas à une amélioration de la démocratie, au contraire. Il peut rendre le parti vulnérable à des opérations extérieures puisqu’il ne s’agirait que de devenir membres pour avoir un poids sur les débats internes sans pour autant participer à ces débats.
3. Mettre en place un Conseil national moins représentatif du parti dans son ensemble réduira la richesse des débats politiques au sein du parti.
La mise en place d’un Conseil national qui ne serait pas composé d’une délégation reflétant le nombre de membres des associations locales mais bien plutôt de deux personnes déléguées par association de circonscription, et ce quelle que soit son importance, est dangereuse à plusieurs égards. On justifie cette proposition en arguant que cette délégation non proportionnelle permettrait de réduire l’importance numérique de l’instance tout en renforçant le poids des régions dans le Conseil national.
Un véritable fonctionnement démocratique impliquerait de ne pas écarter les positions minoritaires mais au contraire de leur permettre de s’exprimer car elles peuvent refléter des expériences distinctes de différents secteurs du parti et de différentes implantations sociales. Un Conseil national (CN) plus petit et ne tenant aucun compte de l’importance de l’implantation des associations locales risque de devenir un CN homogène, ne permettant pas de refléter les différentes orientations présentes dans le parti et donc infirmant la pertinence des débats et des décisions qui en découlent. Si on veut renforcer les représentations régionales, on pourra penser à une représentation proportionnelle modulée régionalement, qui permettrait à la fois d’alléger l’instance tout en tenant compte de la sous-représentation des régions hors des grandes régions urbaines.
4 Abolir des associations régionales pour une Concertation régionale volontaire des associations qui le veulent bien
L’abolition des associations régionales fait disparaître une assemblée générale des membres au niveau régional au profit de Comités de concertation régionaux. Ces derniers seraient le produit des associations qui veulent organiser cette concertation. D’ailleurs, cette Concertation régionale regrouperait des représentant-es des associations locales et une représentante régionale à la Commission nationale des femmes.
Nous croyons qu’il faut maintenir les associations régionales tout en précisant leurs missions. Pourquoi ? Les associations régionales ne sont pas seulement une instance regroupant les membres qui ne font pas partie d’une association locale. C’est une instance qui permet, par son assemblée générale et les débats qui y ont cours, de saisir les problématiques régionales, d’élaborer des analyses et des perspectives pour faire face aux dynamiques régionales et d’aider à construire le parti dans les divers mouvements sociaux des différentes régions. Que ce soit en ce qui concerne les services publics (école, santé, transports publics, questions environnementales, etc.) ou autrement, les problématiques régionales abondent et ne peuvent être appréhendées sur la seule base des associations locales. Des campagnes régionales peuvent être élaborées pour que le parti puisse donner des réponses concrètes à ces problèmes. Si on limite les associations régionales à organiser les membres non organisés dans une région, on passe à côté de la pertinence d’une association régionale et on ne permet pas son développement.
Se contenter d’une concertation large qui ne devra son existence qu’au bon vouloir des associations locales ne saurait être une réponse souhaitable. À l’heure où le parti parle d’implantation dans les régions, la centralisation des initiatives au niveau national et l’élimination d’une assemblée générale des membres dans les différentes régions ne peuvent conduire qu’à un évitement des particularités dont il faut pourtant se saisir pour implanter le parti. Une certaine décentralisation permettant le développement des capacités d’initiative et d’autonomie des régions est essentielle.
5. La fusion des Réseaux militants [2] avec les commissions thématiques, dans les Comités d’action politique (CAD), est un exemple de fausse piste.
Fusionner les réseaux militants visant la mobilisation des membres appartenant à différents mouvements sociaux et ayant une volonté de construire des bases dans les différentes régions du Québec avec des instances d’élaboration n’ayant que des pouvoirs de recommandation et les encadrer par la commission politique, c’est rejeter des structures ayant la volonté de construire le parti de la rue. Leur formation origine de la volonté des militant-es de QS dans différents mouvements sociaux.
D’autre part, la fusion de 4 réseaux militants avec 14 commissions thématiques reste mal définie. C’est ce qui amène le Comité de coordination national à « proposer de créer une politique pour détailler le nombre et les noms des futurs comités d’action politique, ainsi que leur interaction avec et au sein de la Commission politique. »
La fusion des commissions thématiques avec les réseaux militants n’aidera pas à régler les difficultés actuelles des commissions thématiques. Il faudrait plutôt redéfinir le rôle des commissions thématiques dont le travail était dédié à l’élaboration du programme du parti. Il faut maintenant que ces commissions thématiques se voient confier le mandat d’analyser différents enjeux sociaux, d’accumuler de l’expertise à cet égard. Mais elles peuvent également rechercher des témoignages auprès des militant-es de mouvements sociaux particuliers pour renforcer les sensibilités des membres du parti à ce qui est vécu dans les mouvements ayant un potentiel antisystémique.
La fonction spécifique des réseaux militants est de développer le travail du parti dans les mouvements sociaux. L’important, pour la construction des réseaux, c’est d’être un lieu de regroupement des militant-es de QS dans des structures militantes qui ne doivent pas seulement se construire au niveau national, mais chercher également à s’enraciner dans les différentes régions du Québec.
6. Une profusion d’autres propositions sont aussi soumises à l’attention des membres
Nombre d’autres enjeux seraient à discuter : la place accordée à la formation des membres et de son organisation dans le parti, notamment. La proposition d’une École solidaire qui se réunirait une fois par année et où le Congrès ne siégerait pas est pour le moins rachitique et ne constitue en rien une perspective de prise en charge véritable de la formation dans un parti qui se veut militant. Le rapport du parti avec l’aile parlementaire mériterait également des développements importants. La question des liens que doit établir un parti de gauche avec les partis et organisations sociales sur le plan international est également absente des propositions.
Enfin, il est nécessaire de rappeler que l’on a offert aux militant-es du parti un texte dépassant les 100 pages. Le cahier de synthèse risque d’être plus volumineux encore. Le temps de discussion attribué pour les mutations proposées dans le fonctionnement de Québec solidaire est certes trop court. Mais face aux enjeux importants soulevés par ces débats, il ne faut pas en minimiser l’importance et comprendre qu’il pourrait s’agir d’un tournant important dans la vie démocratique de Québec solidaire
[1] Pour approfondir la question, voir L’art de la délibération, in Réinventer la démocratie, Jonathan Durand Folco, Les Presses de l’Université d’Ottawa 2023
[2] Réseau militant intersyndical, Réseau militant écologiste, Réseau de solidarité internationale, Réseau jeune…